Archives mensuelles : mars 2016

POITIERS – Procès de Christine (15/03/16)

Mardi 15 mars dès 12h au Tribunal de Poitiers
Venez manifester votre solidarité et votre soutien à Christine
qui résiste en prison contre l’arbitraire et pour la liberté

« […] il arrive que des condamnés commettent le crime de parler… »
A.M. Jacob

L. Jacqua - la boîte à sardines

Suite à un mouvement collectif des détenues du centre pénitentiaire de Vivonne en décembre 2014, Christine Ribailly devait comparaître mardi 6 octobre 2015 au tribunal de Poitiers pour « violences », « outrages », « menaces » envers divers membres de l’Administration pénitentiaire. Une quarantaine de personnes étaient venues la soutenir et témoigner leur solidarité aux résistances individuelles et collectives face à l’incarcération et la violence des matons. Mais l’audience n’avait pu avoir lieu.

En effet, à la lecture faite par la juge de la longue liste de faits qui lui sont reprochés, l’avocat de Christine avait observé que la copie qui lui avait été envoyée était incomplète et faisait état de 6 faits au lieu des 11 cités par la juge. L’audience fut donc renvoyée au 15 mars 2016. Il apparaît d’ores et déjà que les multiples plaintes rapportées par les membres de l’AP se sont ajoutées les unes après les autres à un dossier qui promettait aux accusateurs quelques recettes pour arrondir leurs fins de mois sur le dos de l’accusée. Chacun y est allé de sa petite plainte, toutes aussi ridicules les unes que les autres.

Double peine pour de nombreux prisonniers, les mois d’emprisonnement suite à ce genre de plaintes s’ajoutent à des sanctions disciplinaires déjà prononcées, et ne cessent de gonfler les durées d’incarcération dans la plus totale impunité des matons.


Nous nous retrouverons donc aux côtés de Christine le 15 mars 2016 au tribunal de Poitiers.

Isolement, éloignement familial, transferts disciplinaires, fouilles à nu, violences, quartiers disciplinaires, humiliations… Pour les près de 70 000 prisonniers en France, chaque journée passée en prison est un défi face à l’Administration Pénitentiaire (AP). Forte d’une multitude d’outils et de dispositifs tant violents qu’insidieux, l’AP encadre l’atomisation des prisonniers et orchestre la répression de leurs résistances. Pour n’en citer que quelques exemples :

  • casques, boucliers, équipes d’intervention anti-émeute (ERIS)
  • sédatifs et anti-anxiolytiques
  • chantages à la possibilité d’avoir accès à des remises de peines, activités, parloirs, UVF (Unité de Vie Familiale), … qui deviennent des faveurs à quémander à l’AP,
  • organisation de l’espace qui vise l’atomisation des détenus (cellules d’isolement, quartier disciplinaire, segmentation par de nombreuses grilles d’accès, TV/douche/repas en cellule et donc seuls…)

Aspirateur social, prison de la misère, machine à broyer, entreprise de déshumanisation, les mots n’ont jamais manqué pour désigner la prison, la taule. Des paroles de prisonniers aux enquêtes de l’Observatoire International des Prisons en passant par les témoignages des familles et proches de détenus, les conclusions sont les mêmes : la prison détruit l’être social.

Résister en prison, c’est y survivre, c’est exister.

Au centre pénitentiaire de Vivonne en décembre 2014, les détenues du quartier femmes rédigent une plate-forme de revendications collectives (voir au dos) où elles expriment leurs frustrations et aspirations immédiates dans le cadre de leur détention. L’Administration pénitentiaire de Vivonne ne tarde pas à réprimer cette tentative d’expression collective: commissions de discipline, mitard, confinement pour de nombreuses détenues et plaintes de surveillants contre Christine qui doit comparaître pour outrage, violence et rébellion. Malgré cela, l’Administration pénitentiaire n’aura pas réussi à briser la solidarité entre les détenues. Plusieurs d’entre elles ont décidé d’apporter leurs témoignages pour soutenir Christine lors de son procès le 15 mars au Tribunal de Poitiers.
Ces témoignages sont à lire ici

Face aux institutions, ne pas se laisser piétiner et tabasser est trop souvent synonyme d’ « outrage, violence, menace »

En prison, en plus de l’insupportable privation de liberté, les situations de confrontation et d’humiliation sont le lot quotidien des prisonniers face aux agents de l’administration pénitentiaire et leurs supérieurs : refus de promenade, de séances de sport, fouilles diverses et multiples, problèmes de courrier ou remarque déplacée, palpations, annulations de parloir… D’autant plus que « les matons disent qu’ils ne font que respecter la loi. […] Mais c’est rarement le cas. »

Alors à chaque manquement à ses droits ou provocation, que Christine soit elle-même concernée ou que l’une de ses codétenues soit visée, elle réagit avec la même ardeur et, en retour, essuie des sanctions. Christine a ainsi passé la moitié de ces trois dernières années en quartier disciplinaire ou à l’isolement, et subi treize transferts d’établissement. Certaines confrontations mènent à des insultes ou affrontements physiques… A plusieurs reprises, Christine a porté plainte contre des surveillants : ses plaintes n’ont jamais été retenues. À plusieurs reprises, des surveillants ont porté plainte : ils y ont gagné du fric et de nouvelles peines pour Christine. En deux ans d’emprisonnement, Christine a ainsi accumulé plus d’une année d’incarcération supplémentaire à sa peine initiale (elle-même le fruit d’« outrages, violences et rébellions »).

Sans notre soutien, les prisonniers et leurs combats face à l’Administration pénitentiaire sont écrasés dans le silence.

LISTE DE REVENDICATIONS DES PRISONNIÈRES DE LA MAISON D’ARRÊT DES FEMMES DU CENTRE PÉNITENTIAIRE DE POITIERS-VIVONNE [Décembre 2014]

Comme ailleurs, nous voulons :
– Des payes correctes, tant aux ateliers qu’au service général
– La suppression des QI et des régimes différenciés au CD
– Les portes ouvertes en MA et/ou le téléphone en cellule
– La mise en place systématique des aménagements de peine sans délais et des transferts en CD dès la condamnation
– La facilitation du téléphone, des parloirs et des UVF avec nos proches, enfermés ou non
– La fin des fouilles systématiques et/ou punitives
– Les repas appétissants : marre de manger du plastique !

Localement, nous demandons :
– Des conditions dignes à la nursery : arrêt des réveils nocturnes, une cour avec de l’herbe, des temps de socialisation pour la maman…
– L’accès à l’école pour toutes : fin des refus avec la fausse excuse de la mixité
– La télé à 8 euros par mois : alignement sur la loi, comme dans les prisons publiques (18 euros ici pour Eurest)
– La fin de l’interdiction des apports aux parloirs (livres, disques, produits d’hygiène…) : on n’est pas là pour enrichir les cantines privées
– L’ouverture d’une salle de convivialité : elle doit être systématique quand la météo est mauvaise car il n’y a pas de préau dans la cour
– Plus d’activités : actuellement, il n’y a que « bricolages en papier » et « fitness », 2h par semaine
– L’accès au terrain de foot : seuls les hommes y ont droit
– La gratuité du courrier interne : on doit timbrer les lettres pour le quartier hommes
(Ces demandes sont toutes réalisables dans l’état actuel de la législation)

« Nous avons donc affiché la liste de revendications le jeudi 13 sur le tableau des notes de services. A notre surprise, la feuille manuscrite y est restée quatre jours ! Mais nous n’avons eu aucun retour. Je l’ai donc expédiée à la direction qui n’a pas fait plus de commentaires. Alors nous avons fait une lettre, extrêmement polie, pour demander l’ouverture d’une salle aux mêmes heures que les promenades. Elle a été signée par toutes les filles de la MAF. Quand elle a été remise à la chef, j’étais déjà au mitard [NDLR : sanctionnée pour un refus de fouille à nu].

J’ai appris que le chef de bâtiment avait convoqué toutes les filles une par une dans son bureau pour leur faire peur en disant que les revendications collectives étaient interdites. Bien sûr, ils n’ont pas osé mentir ainsi aux Basques et à moi. En effet, ce qui est passible d’un CRI (compte-rendu d’incident), c’est « une action collective mettant en danger la sûreté de l’établissement », ce qui n’est pas notre cas. Au contraire, la loi de 2009 incite l’AP à consulter les détenus sur les activités qui leur sont proposées. Il en a profité pour leur dire aussi que c’était interdit de me saluer en criant (et comment peut-on faire autrement avec le béton qui nous sépare ?). Donc depuis quinze jours, seules les Basques me parlent. Bref, c’est l’attitude classique de l’AP… »
Christine, 11/12/2014, MAF de Vivonne

Voir le site du journal anti-carcéral (envoyé gratuitement aux prisonniers sur demande) : http://lenvolee.net/

Pour des lettres, infos et nouvelles de Christine : https://enfinpisserdanslherbe.noblogs.org/

 

Toutes pour une, une pour toutes !

Une pour toutes - toutes pour une
C’est sous ce titre que paraîtront dans le N°43 du journal l’Envolée des extraits de témoignages de prisonnières et ex-prisonnières de la Maison d’Arrêt des Femmes de Poitiers-Vivonne.
Suite à la rédaction de revendications collectives en décembre 2014, l’ensemble des signataires de ce texte s’étaient vues infliger menaces et sanctions de la part de l’AP (Administration Pénitentiaire). Pour Christine cela s’était également traduit par des dépôts de plaintes de surveillants. C’est pour apporter leur soutien à Christine lors de son procès au tribunal de Poitiers que trois de ses ex-codétenues ont décidé de rédiger des témoignages qui replacent les faits qui lui sont reprochés dans leur contexte : un contexte de mépris et de surdité de la part de l’AP face aux demandes des détenues, rapidement suivies de menaces et de sanctions pour tenter de museler ces paroles dérangeantes, mais surtout pour tenter de briser la solidarité entre ces détenues. Mais la solidarité a la peau dure…
Ci-dessous se trouvent ces trois témoignages dans leur intégralité. Les prénoms des personnes ont été changés.
Le dernier texte est une retranscription d’un entretien réalisé dans le cadre de l’émission Papillon du 7 décembre 2015 sur Radio Dio.
> Entretien à écouter sur :
https://emissionsradio.rebellyon.info/papillon/autres/itwJessica-Papillon2015-12-07.mp3
Il s’agit d’un entretien avec une ancienne codétenue de Christine qui s’étaient rencontrées lors de leur passage réciproque au Centre Pénitentiaire des Femmes de Rennes.

 


 

Aurélie, septembre 2015, Poitiers
« Nous nous trouvons dans les geôles de la loi parce que l’État a demandé justice, alors ici, plus que n’importe où la justice doit être de rigueur. Et c’est en demandant une application juste des lois et du règlement de l’établissement que Christine s’est exposée à de sévères sanctions.

Alors que nous ne nous demandions que des conditions d’incarcération dignes, comme un abri décent en cours de promenade ou simplement un ballon pour pouvoir y pratiquer une activité sportive, tout est systématiquement refusé ou seulement ignoré. Le Chef de bâtiment se ferme à toutes discussions et ne souhaite clairement résoudre aucun problème.
Nous nous sommes donc concertées et avons posé sur papier les dysfonctionnements constatés à la MAF sans autre objectif que de faire évoluer la situation pacifiquement. Mais pour seule réponse, chacune des prisonnières a été sanctionnée, mise en confinement avec pour motif : « les revendications sont interdites ».
Devrions-nous laisser l’administration pénitentiaire bafouer son propre règlement en procédant à l’application systématique et automatique de la répression. Le ton est monté et lorsque l’une de nous émettait la moindre plainte, les sanctions s’abattaient.

Alors certaines ont finies par se laisser humilier et ont cessé de réclamer justice. Mais d’autres, comme Christine n’ont pas renoncé et se sont donc retrouvées dans le viseur de l’AP.

Par exemple, la loi stipule que les fouilles intégrales doivent être motivées et justifiées. Une fouille lui a été imposée, elle a voulu en connaître le motif avant d’obtempérer. Mais il n’y en avait pas, il s’agissait de pression par l’humiliation.
Face à son refus de soumission, l’AP a décidé de faire usage de la violence. 4 à 6 hommes peuvent être appelés à intervenir, ils sont casqués, portent des boucliers et disposent de bombes lacrymogènes dont ils ont d’ailleurs fait usage. Dispositif impressionnant déployé sur une femme, elle sera conduite au QD sans ménagement.

Au mitard, se voyant refuser le droit de porter des chaussures en plein hiver et parfois même sans vêtements, Christine a été poussée à bout, ce qui déclenchait souvent l’intervention de ces hommes armés. Elle hurlait « Stop, arrêtez », des moyens d’une extrême violence pour arriver à leur fin, ôter sa dignité. L’escalade de la violence n’a plus cessé.

Les courriers internes destinés à celles qui se retrouvaient au QD comme Christine sont rarement transmis puisque la solidarité est l’unique moyen dont on dispose pour lutter contre l’injustice, l’AP met donc tout en œuvre pour l’éradiquer.
La violence et l’inhumanité dont fait preuve l’AP ne nous résignera pas à croire en l’Homme et les droits qui lui sont dus en tant que tel.
Aujourd’hui encore les combats qu’elle a engagé pour la dignité et les droits de celles et ceux que plus personne ne veut entendre se poursuivent. »

 


Magali, septembre 2015, MAF Poitiers-vivonne
« La première fois que Madame Ribailly avait été amenée au Quartier Disciplinaire c’était parce qu’elle avait demandé la justification face à la fouille intégrale que la surveillante prétendait lui imposer. Malgré que la loi préconise que les fouilles intégrales ne doivent être systématiques, ici, elles sont systématiques et jamais personne nous montre la justification pour la fouille.

De toute façon j’ai déjà entendu Monsieur Kabiala affirmer que « puisque c’est moi le chef de bâtiment, c’est moi qui fait la loi ici ».

Dès le début de l’enfermement de M.Ribailly au Quartier Disciplinaire nous avons senti une grande hostilité de la part de l’Administration Pénitentiaire envers elle. Par exemple ils ont voulu interdire le courrier interne avec M.Ribailly. Quand nous l’avons dénoncé auprès de l’OIP et le contrôleur des prisons, la prison avait été obligé de l’autoriser mais il fallait mettre un timbre. Quelques mois après, le contrôleur des prisons avait visité le CP de Vivonne et depuis, nous ne sommes plus obligé(e)s de mettre un timbre dans le courrier interne.

Petit à petit cette hostilité n’a fait qu’augmenter et la tension et la violence sont devenues insupportables. Dans chaque mouvement les surveillants étaient équipés et armés des boucliers, des casques, du gaz lacrymogène etc. J’estime que la force employée par l’Administration Pénitentiaire était totalement disproportionnée et cela ne fait que pousser à bout les personnes.

Je me souviens qu’un jour j’avais du téléphoner à mon père pour lui demander d’appeler chez M.Ribailly afin de les rassurer, de leur dire que leur fille allait bien. M.Ribailly avait demandé de pouvoir téléphoner mais les surveillants refusaient de l’amener au téléphone. Finalement elle a du commencer une grève de la faim pour y accéder.

Face à cette situation de plus en plus insupportable pour nous, six prisonnières avons décidé de montrer notre mécontentement. Nous avons écrit une lettre et à la fin de la promenade nous avons demandé à voir le responsable pour lui donner la lettre. A cause de cette action tout à fait pacifique, le 7 janvier nous sommes toutes passé devant la commission de discipline et nous avons été toutes punies au confinement. Le jour où en France des milliers de personnes manifestaient pour la liberté d’expression, nous étions confinées justement pour avoir exprimé notre opinion. En l’occurrence d’arrêter la violence contre M.Ribailly car la répression ne fait qu’empirer les choses.

Depuis plus de cinq ans que je suis ici, j’ai remarqué que le pilier principal de la prison est la punition. Le système pénitentiaire est basé sur les menaces, l’humiliation et la répression. Ils nous disent que la prison va nous aider à nous réinsérer. Pourtant la plupart des moyens sont destinés à punir les personnes. Il n’y a pas un vrai programme destiné à la réinsertion, juste des petites choses qui ne sont jamais prioritaires.

Par exemple le manque d’activités au Quartier Femme est flagrant. Les responsables de ce quartier au lieu d’essayer de remédier à ce manque, ils passent leur temps à menacer et punir les prisonnières si : a) elles parlent par la fenêtre (nous passons vingt heures par jour enfermées en cellule) ou b) elles osent faire une pétition pour demander l’accès à une salle les jours pluvieux car dans notre très petite promenade il n’y a pas un abri décent.

Pour celles qui avons le sens de la justice, il y a trop souvent derrière ces quatre murs des situations qui sont intolérables. Madame Ribailly n’a fait que défendre la dignité, la justice et l’humanité. Elle a eu pour réponse la violence indigne, injuste et inhumaine de l’Administration Pénitentiaire. »

 


Irina, septembre 2015, MAF de Poitiers-vivonne 
« J’ai connu Christine au CP de Poitiers-Vivonne. La première fois qu’elle a été amenée au Quartier Disciplinaire, c’était parce qu’elle a juste demandé de respecter la loi. Leur loi dit que les fouilles intégrales ne doivent pas être systématiques et qu’elles doivent être justifiées. Mais ici, chaque jour qu’il y a des fouilles de cellule, on a aussi la fouille intégrale. Moi aussi j’ai subi des fouilles intégrales systématiques après chaque parloir. L’Administration pénitentiaires disait que c’était aléatoires mais « bizarrement » c’était toujours mon tour. Ces derniers mois au niveau des parloirs, la situation a un peu changé. Car nous avons dénoncé cette pratique aux contrôleurs des prisons.

Quand une personne ne respecte pas la loi, elle finit en prison. Quand l’AP ne respecte pas sa propre loi, un prisonnier est menacé et est puni seulement pour demander que règlement pénitentiaire soit respecté. Et parfois, elle est même poursuivie en justice, comme c’est le cas de Christine.

La violence utilisée contre Christine a été sans aucun doute abusive. Une personne enfermée dans une cage et désarmée contre je ne sais pas combien de surveillants. Tous équipés de casques, boucliers, gaz lacrymogène… L’AP savait parfaitement que cette attitude ne ferait qu’empirer la situation. J’entendais les surveillants rigoler au retour du QD. Si ils étaient des professionnels, ils auraient fait les choses différemment. Mais non, la seule réponse de l’AP c’est la violence, la menace et la punition.

Face à cette situation, j’ai décidé d’agir. On voulait dénoncer les mesures appliquées par l’AP contre Christine. Et seulement pour avoir écrit une lettre dénonçant cela, nous aussi nous avons été punies.

Malheureusement ce qui s’est passé avec Christine, ce n’est que le reflet d’un système pénitentiaire extrêmement inhumain, injuste et cruel. La prison ne nous traite pas comme des êtres humains et ne cherche pas la réinsertion. C’est pour cela que leur politique est basée sur la punition et la vengeance. »

 


« J’AI RENCONTRÉ CHRISTINE À RENNES »
entretien avec Jessica, décembre 2015

Jessica a été incarcérée pendant trois ans. Libérée depuis peu, elle a raconté dans l’émission Papillon du 17 décembre 2015 les méthodes de l’administration pénitentiaire pour réprimer les prisonnières en les isolant, en les stigmatisant et en les faisant passer pour folles ou dangereuses. A l’extérieur Jessica continue de se bagarrer pour ses amies incarcérées.

> Entretien à écouter sur :
https://emissionsradio.rebellyon.info/papillon/autres/itwJessica-Papillon2015-12-07.mp3

 

Jessica : J’ai rencontré Christine à Rennes, on a fait deux ou trois mois ensemble ; après elle a été transférée. Elle est passée par Poitiers, et moi aussi – mais pas en même temps. Comme Christine, j’étais une détenue assez rebelle. Parce qu’en plus d’être enfermées, on va nous interdire un certain nombre de choses qui peuvent ne pas nous paraître normales, donc on va refuser de se soumettre. Ils veulent qu’on accepte tout au nom de la sécurité. Donc à partir du moment où ils voient qu’on n’est pas des détenues qui disons « oui » à tout, ils vont jouer avec nous, pour nous provoquer. Ça a été ça avec Christine, ça a été ça avec moi, c’est ça avec plein d’autres détenues. […] À Poitiers ils font une fouille à corps après chaque fouille de cellule. C’est chiant de se foutre à poil à chaque fois devant eux. Des fouilles à répétition, comme ça, en sachant qu’ils trouvent rien… Ça fait partie des choses qui m’ont fait péter les plombs. […] Je refuse de me soumettre aux fouilles parce que j’ai pas envie de me mettre à poil tous les quatre matins devant eux. Des fois, en passant sous un portique, je sonnais ; là, c’est moi qui me déshabillais, et ils me mettaient un rapport parce qu’ils disaient que je faisais de l’exhibitionnisme. C’est de l’hypocrisie ! […]

Papillon : Les surveillants ou l’administration voient certaines relations d’un mauvais œil et essaient de casser les amitiés, d’empêcher les gens de se fréquenter.

C’est quelque chose que j’ai connu autant à Poitiers qu’à Rennes. Je fréquentais des personnes, et ça plaisait pas – plus au niveau de la direction. Ils nous mettaient des bâtons dans les roues pour pas qu’on se fréquente. […] Ils veulent choisir avec qui tu dois être, ils veulent faire les choses à ta place. Ou plutôt : ils veulent qu’on soit comme eux ils veulent. Moi j’étais avec des filles qui étaient super solidaires, ils n’appréciaient pas la solidarité entre nous, parce qu’ils voyaient que ça pouvait être dangereux pour eux. C’est pour ça qu’ils n’acceptaient pas ces fréquentations.

Donc tu atterris au centre de détention de Rennes, la plus grande prison pour femmes de France.

Au début ça se passait bien, on me prenait pas trop la tête. […] Après j’ai fréquenté justement une personne avec qui j’étais solidaire, ça ne leur a pas plu, et à partir de là il s’est passé tellement de choses ! Ils ont ouvert un quartier D0… J’ai été la cobaye du truc. A Rennes, ils ont mis ça en place le 1er juin, et j’ai atterri dedans le 1er juin. Personne voyait rien, et en cachette ils m’ont fait la misère. Ça a fini, j’ai mis le feu à ma cellule, j’ai été transférée à Nantes à trois semaines de ma sortie.

Le D0, c’est comme un quartier d’isolement qui ne dit pas son nom ?

C’est ça, c’est un quartier d’isolement. C’est un peu pareil que le mitard, même. On avait

une heure de promenade l’après-midi, une heure le matin. Sinon, enfermées toute la journée. Personne. Quand on sortait, on avait toujours deux ou trois surveillants avec nous -pour faire les 20 mètres qui conduisent en promenade !

Au D0, tu avais des contacts avec les autres prisonnières ?

Non. Enfin si, je parlais par les fenêtres et tout ça. On se débrouillait autrement, mais on avait

interdiction de communiquer avec le reste des détenues. Les promenades étaient confinées, toute seule, spécialement pour ceux qui étaient à l’isolement. Mais c’était mal foutu, hein ! Comme on était des cobayes, ils arrivaient pas encore bien à gérer ! C’était un peu marrant, parce qu’à chaque fois on croisait du monde. Mais le but était qu’on soit bien isolées du reste de la détention, que personne ne voie ce qui se passe…

Il y a beaucoup de fouilles, des fouilles par palpation… Tous les jours. Trois, quatre fois par jour, parce qu’on sort au moins trois ou quatre fois par jour de la cellule. Des fouilles de cellule toutes les semaines. […] Au début, l’isolement devait durer un mois, mais après ça a été prolongé. […]

Quand les gens qui sont en prison racontent ce qu’ils subissent, on a parfois du mal à les croire ; et souvent, les personnels, que ce soient les médecins, les profs, l’administration pénitentiaire, les surveillants… tout le monde essaie de les faire passer pour fous, menteurs ou paranos !

C’est surtout à Rennes que je l’ai ressenti ; au quartier d’isolement, je voyais tout ce qu’ils me faisaient, et quand je passais en commission je leur disais : « Vous me faites ça, ça, ça, c’est pas normal. » Et ils me disaient : « Mais vous êtes complètement parano, vous vous sentez persécutée. » Et à force de me dire ça, je me disais vraiment : « C’est peut-être moi, je sais plus ce que je fais, je sais plus si je gère ce que je fais… » Ils essayaient vraiment de te retourner le cerveau, en fait. […]

On a l’impression qu’il y a pas mal d’isolement à l’intérieur des prisons pour des gens qui ont

des galères, ou qui sont en lutte ou en rébellion : quelles sont les solidarités qui existent, ou que t’aimerais voir ?

A l’intérieur, la solidarité, y en a pas beaucoup, mine de rien. Après c’est normal, la détention a les armes pour te dissuader d’être solidaire. Elles pensent à sortir, je comprends tout à fait. Mais faut aussi garder sa dignité. Je pense que c’est important d’être solidaire : on est tous dans la même galère en prison. Faut qu’on s’entraide. Si y a des gens qui m’entendent : faut vraiment qu’il y ait de la solidarité dans les prisons, arrêtez de vous faire la guerre entre vous.

Et je voudrais faire une dédicace à l’administration pénitentiaire : vous m’avez pas eue, et je suis bien contente ! Et dédicace pour toutes les personnes détenues, gardez la pêche !