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Lettres de Rennes (juin / juillet 2014)

« CD de Rennes,
jeudi 6 février 2014

Au Centre de Détention Femmes de Réau, les filles qui n’ont plus le droit au « régime de responsabilité »1 (donc que l’AP maintient en irresponsabilité avec la complicité de l’UCSA) ont quand même la possibilité de faire les deux premières heures de promenade de l’après-midi au chaud. Ils appellent ça « la salle de convivialité » et on peut y avoir accès à quelques jeux de société. Le 2 décembre, j’y étais juste avec Kaoutar (qui cartonne au scrabble!). Dans le couloir on a entendu du grabuge car une fille voulait y venir alors que la matonnerie le lui refusait (depuis, selon son souhait, elle a été transférée, elle devrait même être dehors à l’heure qu’il est). Le 3 décembre, on n’a pas eu accès à cette salle car elle sert aussi de vestiaire quand il y a des arrivantes. Et le 4 au matin, une affiche la déclarait fermée, sans explication et sur ordre de la direction.

J’ai demandé aux surveillantes puis aux gradés pourquoi, aucun n’a voulu me répondre, tant il était évident que c’était juste une crise d’autorité injustifiée. Je suis alors allée demander à l’officier, dans son bureau. Il a encore forcé la dose sur l’autoritarisme et le mépris, m’envoyant, grâce à un CRI mensonger, au mitard pour 18 jours. Au prétoire du 6, la directrice a dit qu’elle ré-ouvrirait la salle « dans une semaine ».
Mais quand je suis sortie du QD le 21 décembre, la salle était toujours fermée, sans plus de raison. On en a parlé en salle de muscu avec les filles du RDC et on a décidé de demander la ré-ouverture mais aussi une ouverture exceptionnelle le 1er janvier à midi « pour commencer l’année sous le signe de la bonne camaraderie », selon les termes de notre courrier signé par 11 d’entre nous (sur 13 au rez-de-chaussée!). Les chefs ont eu cette lettre collective le 24 au soir. Le vendredi 27, on n’avait toujours pas de réponse. J’ai insisté auprès des chefs qui m’ont refusé une audience mais ont pris 5 filles à part pour leur dire « Ne suivez pas Ribailly dans ses conneries. On peut très bien vous mettre un CRI car les pétitions sont interdites. C’est nous, et nous seuls, qui décidons si la salle sera ré-ouverte et quand ». Elles sont rentrées à fond dans la menace et m’ont dit qu’elles feraient rien qui risquerait de déplaire à la pénit’. Moi, j’ai chopé la directrice dans le couloir dès que j’ai pu, c’est à dire le lundi 30. Elle m’a dit, une fois qu’elle a compris que je lui collerai aux basques jusqu’à avoir une réponse, que la salle serait ré-ouverte le lundi 6 (c’est à dire à la fin des vacances scolaires, quand les activités reprendrons, logique,…) et qu’ils allaient décider en équipe pour l’ouverture de mercredi, qu’on en serait informées le lendemain en fin d’AM.

Donc le mardi 31, à 15h, juste à la sortie du gymnase, je suis appelée au bureau des chefs. Il y avait 2 bricards, Ho-a-Kwie et Borde, une nouvelle. Il m’a dit : « Je t’ai appelé pour te donner la réponse pour la salle demain ». J’étais convaincue que c’était refusé et j’ai dit : « pourquoi juste moi ? On est 11 à l’avoir signé cette lettre, il y a une semaine ! » Il a essayé d’expliquer que j’étais la seule à avoir mis une affiche (c’est vrai et ça m’a valu un CRI de plus, à mettre sur la pile), à avoir alpagué la dirlo, donc que j’étais la porte-parole. J’ai refusé ce terme et il m’a dit qu’il préviendrait chacune des filles individuellement.
Après, ils m’ont passé des documents administratifs, en partie périmés que j’ai bâclé, et je suis partie. Une dizaine de minutes plus tard, j’étais de retour, un peu calmée et j’ai demandé un imprimé pour répondre aux papiers que j’avais jetés. Et (et c’est juste à ce moment-là que j’ai eu tort car je savais qu’ Ha-o-kwie est un sale menteur), avant de partir, je me suis retournée vers lui :
– Tu préviens les filles une par une, hein ? Parce que depuis 10 min, tu n’as rien fait, alors que la moitié sont à la biblio où tu pourrais nous parler à toutes en même temps.
– Je fais ce que je veux !
– Non, foutu psychopathe, tu ne fais pas ce que tu veux ! Tu as pris un engagement, tu le tiens ! Si t’as un problème avec la « toute puissance », vas donc voir le psychiatre que vous m’avez balancé dans les pattes alors que je réclamais la radio au mitard !
– Tu t’en vas de ce bureau !
– Et pourquoi ? Pour te laisser le temps de rédiger un CRI pour l’affiche, alors que tu dois nous répondre ?
– J’ai dis que je te répondrais. Je le ferai si je veux, c’est ça la liberté d’expression !
– Sale menteur ! Vous passez votre temps à ça : mentir et menacer. Comme quand vous avez dit aux filles de se méfier de moi…
– On sait bien que c’est toi qui a écrit cette lettre. Et il n’y a que toi qui fait chier…
– Quoi ? J’ai pas écrit cette lettre ! Je l’ai rédigée, c’est tout ! On est 11 à l’avoir signée !
– Ouais, t’as même fait signer les filles qui savent pas écrire !
– Qu’est ce que tu dis là ? C’est vous qui menacez les filles, pas moi ! Y a des filles qui t’ont dit qu’elles avaient signé alors qu’elles ne voulaient pas manger ensemble, peut être ?
– On m’a dit que tu leur faisais peur…
Là, ça a été trop ! J’ai fait un pas en avant, bien vif, dans sa direction, mais sans le toucher. Borde et deux matonnes qui s’étaient approchées à cause du bruit de l’engueulade, m’ont saisie par le bras, lui a bondi de son siège, effrayé. Je n’ai pas bougé, j’ai juste ricané : « C’est toi qu’a peur, minable menteur ! ». Alors qu’elles étaient trois à me tenir sans que je me débatte, il a pointé son index sur moi pour me menacer : « c’est une agression sur personne ! Tu vas manger ! ». Je l’ai laissé délirer trente secondes puis, lassée, j’ai fait mine de le lui happer le doigt. Je sais que je n’ai pas serré les dents, mais il est aussi douillet que lâche et l’alarme a été lancée. Ils m’ont foutue au sol et menottée dans le dos pendant que ce [biiiiip] m’envoyait des coups de poing au visage.

Au mitard, ils m’ont arraché mon survêt’ (avec lacet) et m’ont laissée à poil et menottée pendant près d’une heure. Je n’ai eu l’ensemble de mes affaires que 36h plus tard. Je n’ai vu le toubib que 72h après, c’est à dire après le prétoire qui a eu lieu le 2 janvier.

Le prétoire a été dégueulasse. Il y avait un vice de procédure énorme (je n’ai pas eu le dossier 24h avant ) mais mon commis d’office était minable. Il n’y avait pas non plus les images de la caméra qui donne sur le bureau des chefs et qui devaient montrer les coups de poing au visage (confirmés par le certificat médical, 3 jours après). Il n’y a même pas le Compte Rendu Professionnel (CRP) d’une matonne qui dit que j’ai crié au chinois « c’est toi qui a peur ! » et qu’elles me tenaient quand je l’ai « mordu », mais la dirlo n’en a pas tenu compte. Il n’y avait aucun certificat médical constatant cette « grave blessure » que je lui avais infligé. Bref, sans originalité, j’ai pris 30 jours avec une promesse de dépôt de plainte et de transfert disciplinaire à la clef. Le lendemain, le mitard étant très proche de la cour du RDC, les filles m’ont saluée et m’ont dit qu’on leur avait proposé à 11h d’aller à la salle de convivialité. À sept, elles ont partagé le sac que j’avais préparé pour ça (soda, gâteaux, bonbons, saucisson). Elles n’y sont pas restées à midi parce que c’est interdit d’y fumer. Depuis, je ne les ai pas ré-entendues dans la cour mais l’aumônière m’a dit qu’elles me saluaient bien. Une autre bonne nouvelle : mercredi, bien sûr, quand j’ai pu aller en promenade, j’ai dit : « je rentrerai quand il y aura un transistor ». Ils sont venus, comme d’habitude, avec casques et boucliers. Jeudi, ils m’ont laissée en promenade de 11h à 14h30 ! Mais quand je suis rentrée en cellule, en plus de la gamelle froide, il y avait un petit poste de radio FM. On ne capte que Radio Autoroute, ce qui n’a rien d’exaltant, mais c’est quand même une victoire. Ma voisine de QD qui était là depuis 12 jours, a eu aussi le sien. Elle n’a pas compris l’ironie quand j’ai lancé « El pueblo unido jamás será vencido » en guise de chant de victoire. […] Les 30 jours sont passés, lentement bien sûr, mais sans trop de provo, à part le refus de courrier interne, commun à tout le CPSF (Centre Pénitencier Sud Francilien), de leur part. J’avais la radio et j’ai eu un parloir de 2h30 avec ma mère. J’appréciais les visites des aumônières ou autre pour le break, pour voir des gens sans uniforme. J’attendais aussi la GAV. Elle n’a eu lieu que le 28, à la toute fin. Contrairement aux gendarmes de Bapaume, les flics de Moissy on été bien cons durant la GAV, singeant la paranoïa des matons, même après 2 heures d’audition. J’ai appris, quand j’ai pu lire le dossier avec l’avocat de la comparution immédiate, que ce pauvre maton violenté, qui a récupéré 1 jour d’ITT (alors qu’il était au boulot le lendemain), n’a été déposer plainte au comico de Moissy Cramayel que le 22. Au tribunal, à 20h30, j’ai refusé d’être jugée sans un avocat correct et avec plein de pièces manquantes (notamment le témoignage de la matonne du 31 décembre, mon certificat médical du 3 janvier et les images de la caméra de la coursive). Bref, je repasse le 5 mars à 13h30 au TGI de Melun et Ha-o-Kwi sera partie civile (pour avoir un 13ème mois).

Le lendemain, j’étais, après 30 jours de QD, transférée à Rennes. Là, je suis au quartier arrivante du CD. L’architecture ici est très différente des prisons Bouygues. Il y a moins de caméras et pas de sas. Les matons ne sont pas cachés dans leurs aquariums à déclencher des portes à distance. Donc ils sont moins paranos, donc ils sont moins dangereux, donc ça va mieux. Bon, je ne me fais quand même pas d’illusion, j’attends de voir où se niche leur perversité… en profitant de l’herbe dans la cour de promenade et en retournant au sport. »

 

Rennes, dimanche 1er juin
Salut !
[…] Comme promis, voici le récit et les documents à propos du projet « jardin potager ».
Au CD de Rennes, l’aumônerie gère un petit jardin attenant à la chapelle où poussent des fleurs pour la décoration de l’église. Une dizaine de filles y vont le samedi matin et cultivent aussi quelques fraises ou pieds de menthe sous la houlette d’un moine jardinier. La première fois que j’y ai suivi une fille, l’aumônerie en chef m’a dit « Je dois d’abord signaler ta présence à l’AP ». Mais la semaine suivante, alors que j’arrivais pleine de bonne volonté pour me salir les mains, elle m’a dit que le chef de détention avait refusé de me mettre sur la liste. J’ai alors exigé un RDV. Il y avait l’adjoint du chef de détention (absent depuis 3 mois) et le directeur que je voyais pour la première fois. Ils m’ont sorti une histoire totalement bidon comme quoi je risquais de m’évader du jardin (un 1er mur de 2,5m, aussi haut qu’en promenade, réhaussé de fils électriques puis un 2ème de 4m) avec l’aide de mon « comité de soutien ». Leur fantasme était si costaud qu’ils m’ont même parlé d’une évasion que j’avais déjà faite lors d’une extraction ! Il a fallu un bon mois pour que je revois Bidet (le dirlo) dans les couloirs et qu’il reconnaisse que c’était du pipeau…
En attendant, je suis allée à l’aumônerie le samedi matin, sans avoir accès au jardin, me contentant de fumer ma clope sur le haut des escaliers. Lors du café traditionnel à 11h, je parlais avec les jardinières. On a décidé de rédiger un projet pour avoir un potager plus conséquent et même un poulailler. Je suis allée taper ce texte à la Cyber-base pour que ce courrier ne soit pas écrit de ma main. Un mois après que la direction l’ait réçu, on n’avait toujours pas de réponse. De mon côté, je n’avais toujours pas accès au jardin, l’aumônière refusant de m’écouter et faisant le valet de l’AP.
Le 14 mai, j’ai revu Raoul1 et Bidet. Ils m’ont officiellement interdit l’accès au jardin (et au journal interne [Citad’elles] pour faire bonne mesure) mais m’ont demandé de prévenir les filles intéressées qu’une réunion aurait lieu le 30 à propos des projets agricoles. J’ai fait une grosse propagande et suis allée imprimer une affiche pour mettre dans toutes les divisions pour prévenir tout le monde. Raoul m’a alors interdit de les afficher et 2 jours plus tard une note de service disait qu’il fallait s’inscrire auprès du chef de dét’ pour aller à la réunion. Bidet avait aussi décidé qu’une seule d’entre nous devrait être « représentante » de sa division (une division c’est maximum 20 filles, il y a 11 divisions au CD où on est 200). C’était une jolie forme de censure…
À la division B2, on était 9 à être intéressées, on a fait une liste commune et attendu. Dans les autres divisions, il n’y a eu que des demandes individuelles. Puis on a eu la liste des personnes autorisées. J’en faisais partie avec C., une autre fille du B2. On a alors organisée une assemblé générale. J’avais fait une affiche que j’avais mise dans les communs et qui a été arrachée plusieurs fois par les surveillantes. À la fin, j’ai obtenu gain de cause car rien n’interdit d’afficher sur les panneaux, même si les « actions collectives », (qu’ils ont pourtant motivées !) les dérangent.
À l’AG, on était 6 car les matonnes avaient dit [à d’autres] « Si vous ne voulez pas d’ennuis, ne vous mêlez pas de ça ». Il a été décidé en 20 min et sans un éclat de voix, que C. et moi étions déléguées par le reste des filles intéressées.
À la réunion le 30, on était 11 filles (à la divison B1, elles étaient 2 à s’être inscrites et à être présentes, il y avait aussi une représentante du journal interne, 3 divisions n’étaient pas représentées, Bidet a mené ça d’une main de maître, un parfait politicien. On n’a rien obtenu de ce qu’on voulait : la participation ne se ferai pas sur la base de groupes affinitaires mais par une liste validée par l’AP (comme au « jardin du curé » ou à « Citad’elles » dont je m’étais faite virée), le poulailler est reporté aux calendes grecques parce que Bidet « n’a pas envie de faire des papiers avec le ministère de l’agriculture » et la surface qui nous est allouée est ridicule (8x6m, soit le 1/3 du jardin du curé »). Mais la plupart des filles ont été flattées d’être écoutées, elles voyaient là « un début sur lequel on pourra continuer ». Elles ont proposé de faire des courriers de demande de sponsors aux grosses boites locales (GamVert, Truffaut,…) pour obtenir les 10m de clôture, le petit abri pour les outils, les dits outils et quelques semences. Le directeur a promis de nous laisser une salle 2h par semaine pour qu’on travaille ce courrier et qu’on se reverrait à la fin juin pour qu’il le valide et nous explique l’échéance des travaux de dessouchage qu’il faut faire au préalable.

Voilà comment une initiative spontanée est récupérée, comment on passe d’un projet autogéré à une opération de promotion du SPIP [Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation : service sociaux de la justice] et de l’AP, comment l’AP obtient notre collaboration active. Ce projet (dont Bidet m’avait déclaré meneuse) ne m’intéresse plus du tout dans ces conditions. C’est aussi le cas des basques à qui on a fait un compte rendu (avec arrachage préalable des affiches par la matonnerie qui ne perd pas la main).
[…]

Je reprends cette lettre lundi matin, en attendant l’ouverture pour aller au sport. Je suis encore arrivée à améliore mon score au rameur : 8min 23 pour 2000m. J’en ai bien chié, mais je continue à penser que je peux encore gagner 10 sec : faut bien trouver de quoi s’occuper.
Je passe au prétoire après-demain à propos d’un refus de fouille systématique à l’entrée au mitard il y a un mois. J’espère que le commis d’office aura un peu de courage. Ce qui est important c’est que Raoul m’a promis que, quelle que soit la sanction, j’aurais le parloir et l’UVF avec mes parents. Ils ont encore 2 CRI [Compte Rendu d’Incident] en stock qu’ils auraient très bien pu passer en même temps. Ils se gardent des réserves…
[…]

Christine

PS : le journal « Citad’elles » est visible sur le site des établissements Bollec [http://etablissementsbollec.com/?p=683], association qui en tire le plus de profit. Sur 3 articles que j’avais proposé, 2 ont été censurés et le dernier [« La maison-monde »] a une mise en page dégueulasse.

« Vendredi 6 juin, Centre pénitentiaire pour femmes (CPF) de Rennes

Salut !

(…) Pour moi ça va couci couça. Je sais bien que la vie est plus supportable à Rennes que dans les prisons modernes, que ça soit Condé (cf L’Envolée n°39) ou Réau, Séquedin, etc. Pour autant il y a toujours de quoi s’énerver. D’abord être enfermée, ensuite de voir le comportement de l’AP. Donc depuis le 29 janvier, j’avais régulièrement des petites altercations avec les bleus ou leurs valets (UCSA, service scolaire, SPIP…) et ça débouchait sur de petites peines de mitard qui me permettaient de faire mon courrier en retard. Effectivement comme il n’y a pas le système « portes fermées »(1) ici, j’arrive à m’occuper assez dans la journée (sport, promenade, activités…) pour m’endormir assez tôt devant la télé. Mais ce comportement « atypique » perturbe les habitudes de la direction qui aimerait bien me transférer pour n’avoir plus à gérer que les conflits traditionnels entre toxicos. Comme depuis 4 mois je n’ai répondu à aucune provocation physique (d’ailleurs bien moindres que dans les prisons Bouygues) ils espèrent que c’est moi qui vais craquer et demander à partir. Ils multiplient alors les interdictions diverses, le pistage dans les couloirs, les demandes autoritaires injustifiées. Tout est bon pour me stigmatiser auprès des autres filles, leur faire croire que me fréquenter risque de leur attirer des problèmes, m’isoler. (…)

Je n’arrive pas à pondre le texte que tu me réclames sur le fichage. J’ai des oppositions basiques, instinctives, au flicage, que ça soit pour moi, mes potes ou mes brebis. J’aime aussi, tout simplement, dire « non » à ceux qui me disent « tu n’as pas le choix ». J’ai du céder au CPF de Rennes car ils m’ont sorti une note liant la présentation de la carte biométrique à l’obtention d’un parloir. Je ne pouvais pas imposer ça à ma famille. J’ai vu avec David pour faire annuler cette note au tribunal administratif, j’ai aussi alerté le défenseur des droits. Ça sera super long (2 ans au moins) et j’espère bien être sortie d’ici là… Je sais donc que ça ne servira pas à grand chose car aucune fille n’a tenté cette résistance, soit parce qu’elles n’imaginent même pas qu’on peut dire « non », soit parce qu’elles estiment ça inutile. (…)

Je n’ai aucune idée d’une date à laquelle je pourrai demander une condi ou sortir en fin de peine (quoique ce ne sera pas une vraie fin de peine vu qu’il y a au moins six mois de sursis récupérés à Arras pour me tenir sous pression même quand je pourrai pisser dans l’herbe). J’ai appris que Kaoutar était sortie, cool ! Je lui souhaite « bon vent » (…).

Au CPF, il y a le quartier maison d’arrêt (environ 50 filles, souvent 2 -voire 3- en cellule), la nursery (5 filles, condamnées ou prévenues), le centre de détention (200 filles, réparties en 11 divisions) et le quartier semi-liberté pour les hommes qu’on ne voit jamais. Chaque quartier est bien cloisonné. (…) Je suis toujours convaincue, pour l’avoir testé, que la taule c’est plus difficile pour les proches que pour les enfermé(e)s…

A plus.

Christine »

notes :

1) les portes de cellule sont ouvertes en journée, ce qui permet de circuler un peu en détention, d’avoir quelques activités…

 

Rennes, dimanche 15 juin 2014
Salut !
Je suis dans la cour du mitard, seule et au soleil. Si je n’avais pas promis au prétoire de mercredi de faire gaffe à ne plus les provoquer en échange d’une suspension dans la menace de transfert, je retirerais bien le tee-shirt pour en profiter en plein…
[…]
Cette semaine n’a pas été facile. […] il y a eu une nouvelle provocation de la matonnerie qui m’a envoyée au mitard samedi soir. J’assumais très bien de leur causer plus de travail jusqu’à ce qu’ils me disent que, du coup, l’UVF de mardi avec mes parents était supprimé. J’étais aussi triste qu’en colère, dégoûtée. Ma mère, que j’ai vue au parloir 2h30 le lundi était aussi démontée par cette annonce. Le prétoire de mardi 10h (alors que l’UVF était prévu à 10h30) a conclu à 4 jours de mitard que j’avais déjà fait. J’ai donc pu voir mes parents du mardi 14h au mercredi 10h30. […]
Mais pour avoir « gagné » cet UVF, qu’est ce qu’on a dû subir de pression et de mépris avant… Et encore, s’il n’y avait pas eu l’assesseur civil, Bidet aurait saisi l’occasion pour organiser un transfert disciplinaire.
Donc mercredi, je quitte l’UVF à 11h et je vais au prétoire […]. Je suis encore passée pour 4 autres CRI. Pour 2 d’entre eux c’est des intervenants (diététicienne et prof d’espagnol) qui avaient eu peur sans raison alors que j’essaye de discuter d’adulte à adulte avec elles et qui avaient appelé la matonnerie à la rescousse comme avait fait la SPIP il y a 2 mois. Un autre était dû à une matonne qui m’avait refusé la cour de promenade à 17h, alors qu’on y avait le droit depuis un mois : je me suis glissée sous son bras, sans la toucher. Pour ça, j’ai eu une nouvelle interdiction (comme Citad’elles et le jardin du curé) d’aller en cours d’espagnol et 7 jours de mitard avec sursis. Là encore, rien n’est réglé pour l’accès à la promenade à 17h, après le sport. Il y a aussi un jour où j’ai refusé la fouille à poil avant d’aller au mitard. C’était la 4ème ou 5ème fois que j’y allais et ils ne m’avaient jamais imposé ça, de plus, depuis 2009, les fouilles doivent être justifiées et je ne suis pas suicidaire. J’avais tous les documents à l’appui, mais ils voulaient démontrer qu’ils sont les plus forts et se foutent de la loi. J’ai donc pris 10 jours et je suis en train de les faire, jusqu’à vendredi. Durant cette partie du prétoire, briefée par mes parents, de leur envie de transfert, je leur ai promis ce qu’ils attendaient : ne plus leur chercher des poux dans la tête, faire profil bas. Le dirlo, qui sait que je ne mens pas, l’a entendu et sait ce que ça me coûte. Du coup, et là c’est rigolo, il m’a demandé de vider mes poches à l’audience avant de dire « Messieurs, la fouille ne sera donc pas nécessaire cette fois ». Je lui ai quand même dit que je ne lâchais pas l’affaire sur ce point de droit et j’ai demandé à mon avocat de faire un recours à la DI [Direction Inter-régionale de l’AP] puis au TA [Tribunal Administratif]. […]
Bref, j’en suis revenue à la situation de Bapaume où j’avais promis de ne plus me lancer dans des provos juste pour le plaisir de les faire chier. J’avais tenu ma parole mais ils n’avaient pas voulu le voir, continuant à m’interdire l’accès au téléphone pour l’avocat jusqu’au jour où ils m’ont envoyée à Séquedin parce que je témoignais de ce que ma voisine subissait. Je m’étais affranchie de cet engagement parce que j’avais vu que les limites étaient plus loin ici, avec l’obtention assez facile des UVF et l’absence de QI ou « portes fermées ». J’avais pu reprendre ce jeu qui m’amusait bien de leur mettre le nez dans leur propre caca. Je m’étais quand même imposée des limites : celles que je considère comme le respect (« Ne fais pas aux autres ce que tu ne veux pas qu’on te fasse »). Je ne suis donc pas allée à l’affrontement physique, n’ai (guère) insulté que les menteurs, n’ai jamais menacé qui que ce soit, bien sûr pas de deal ou de vol auprès de mes voisines. D’ailleurs, je n’ai pris ici quasiment que des peines de maximum 1 semaine pour « refus d’obtempérer », aucune pour « violences ».
Donc là, j’en suis à me faire bien chier. C’était un bon jeu de chercher à les coincer à chacune de leurs conneries. Bien sûr, je risquais le mitard, mais ça fait longtemps que ça ne me fait plus peur… Par contre, je ne peux pas imposer à mes parents un transfert dans une taule où il n’y aura pas d’UVF. Et puis moi aussi, je préfère les promenades dans l’herbe qu’au QI. Je sais quand même que je me suis faite achetée et ça me fait chier. Je sens que les mois à passer ici vont être encore très longs : ce n’est pas le rameur qui va compenser cette énergie là…
Bidet aurait bien voulu que je la mette dans le projet jardin. Il l’a même dit à mes parents, après avoir appris après la lecture d’une de mes lettres que je me désinvestissais de ce projet qui lui permettrait juste de peaufiner son image et n’avait plus rien à voir avec ce qu’on avait proposé.
[…]

Christine

Lettres de Réau (déc / février… puis Rennes)

CD de Réau, mercredi 11 décembre 2013

Depuis mercredi dernier, je suis de nouveau au mitard. Avec l’AP, chassez le naturel il revient au galop ! L’ « équilibre des nuisances » dont je parlais dans ma lettre précédente [12 novembre] a été rompu par un officier qui remplace celui du CDF pendant ses congés, et qui a préféré jouer les gros bras plutôt que de se renseigner sur la relation qu’on avait mise en place.

Au prétoire (où, comme à Joux, il n’y avait pas d’avocat car c’était hors des jours habituels), j’ai vu qu’il avait salement chargé le CRI, inventant (mais là non plus ce n’est pas original) que j’avais essayé de le mordre. J’ai pris 18 jours jusqu’au 21 décembre, mais là il reste encore des CRI en suspens. Pourtant, depuis le 25 novembre, et ma demande de prolongation de parloirs pour voir mes parents le WE du 21 et 22 décembre, j’avais repris ma carte de circulation et il n’y avait plus eu de rapport.

Au mitard ici, on a la douche dedans. D’ailleurs, elle déclenche l’alarme incendie avec la buée quand elle est bien chaude ! Par contre, malgré la loi de 2009, la pénitentiaire ne fournit pas de radio au prétexte que les ondes FM ne passent pas les murs de cette foutue taule. Heureusement, mes voisines basques m’ont dégoté un petit transistor avec lequel je chope « France Bleue » en ondes courtes. Quand mon corps fait antenne près de la fenêtre (position assez sportive), je chope même « France Musique » en FM.

À propos de musique classique, il y a eu un concert avec les cuivres de l’orchestre de Chambre de Paris le 15 novembre au gymnase. Pour la première fois à Réau, les gars du CD1 et CD2 et nous du CDF avons pu y aller en même temps. Quand nous sommes arrivées, avec près d’1/2h de retard, une trentaine de gars étaient assis sur leurs chaises groupés au fond du gymnase. Nous, on était une quinzaine de filles. Toutes se sont assises sur les chaises groupées. Entre les gars et nous, il y avait un « no mans land » de 4m de large. Moi, bien-sûr, puisqu’on ne nous avait pas donné d’ordre, je suis allée m’asseoir sur une chaise libre de l’autre côté. Les filles, qui avaient intégré la norme avant même qu’elle soit formulée, me regardaient effarées.

Les gars avec qui j’essayais péniblement d’engager la conversation me regardaient aussi comme un extraterrestre. Ça a quand même duré 2 bonnes minutes. Puis un maton est venu me dire de changer de côté. « Pourquoi ? » « Là c’est les hommes » « Et alors ? » »Vous ne vous mélangez pas ». Alors je me suis levée en lançant à la cantonade « Désolée les mecs, il paraît que je vais choper des maladies si je reste à côté de vous ! ». Ça n’a fait rire personne mais le maton n’a rien dit. Quand j’ai pris ma place parmi les femmes, il s’est assis au milieu de la travée.

Puis le concert a commencé. Il était de bonne qualité et les musiciens prenaient le temps entre les morceaux de nous les situer dans leur contexte historique, de nous présenter leurs instruments. Après un bonne heure, le chef d’orchestre a dit « Mesdames, messieurs, nous vous remercions pour la qualité de votre écoute » et les matonnes ont dit « Mesdames, on y va ». Alors je me suis levée et j’ai dit aux musiciens « Messieurs, j’espère ne pas me tromper en disant que c’est nous qui vous remercions pour ce beau concert. D’entendre comme ça des musiques qu’on connaissait dehors c’est presque comme recevoir du courrier. Quand je suis venue, je dois dire c’était surtout pour sortir de cellule et croiser nos voisins, mais là, en plus, on a eu un concert de grande qualité. Merci. ». Je crois que ça les a émus, alors j’ai continué « Messieurs, si vous voulez continuer à nous faire plaisir, s’il-vous-plaît, offrez-nous une valse qu’on puisse inviter nos voisins ». Là, l’orchestre, pris au dépourvu, interroge la nombreuse matonnerie du regard, qui s’interroge entre elle sans un mot, mais avec une lueur de panique amusée. Devant cette absence de refus, ils entament aussitôt une valse. Je franchis alors l’espace de « sécurité » et invite le premier gars en face. Il refuse en secouant la tête. Je tend la main vers un voisin qui bredouille un « Je sais pas danser ». Je regarde alors l’ensemble de ces 30 gars et tous font un signe de refus. Dépitée, je retourne chez les filles et leur demande à voix basse : « Mais pourquoi vous en profitez pas ? ». La réponse : « Faut pas brusquer les bleus, c’est déjà une belle victoire. Et puis on sait pas danser ».

Devant cette déconfiture, le morceau s’achève assez vite. On ne demande pas de bis. Mais au moment de partir, les quelques filles qui avaient un compagnon de l’autre côté vont lui faire une bise furtive, de quelques secondes. Puis on part toutes sagement, sans un mot.

Moi, j’ai été stupéfaite que personne ne pense à sortir de la norme. Je n’ai rien fait de contraire au règlement ou la loi, mais j’ai choqué tout le monde. Au bout de quelques années de taule, homme ou femme chacun(e) a intégré des limitations dans l’espace et dans la relation à l’autre. J’ai du mal à rire quand j’entends parler de culture comme élément de re-socialisation … C’est désespérant.

Pour la petite histoire, la directrice a demandé après au matons du CDF de me coller un CRI pour un geste d’impatience, ni dangereux pour qui que ce soit, ni abîmant du matériel de l’AP, ni insultant ou vulgaire que j’avais eu à l’attente (1h quand même !) dans le sas avant l’entrée au gymnase. J’ai pris 3 jours de mitard pour avoir fait des tractions sur une grille, 20 jours après les faits…

CD de Rennes, jeudi 6 février 2014

Au Centre de Détention Femmes de Réau, les filles qui n’ont plus le droit au « régime de responsabilité »1 (donc que l’AP maintient en irresponsabilité avec la complicité de l’UCSA) ont quand même la possibilité de faire les deux premières heures de promenade de l’après-midi au chaud. Ils appellent ça « la salle de convivialité » et on peut y avoir accès à quelques jeux de société.

Le 2 décembre, j’y étais juste avec Kaoutar (qui cartonne au scrabble !). Dans le couloir on a entendu du grabuge car une fille voulait y venir alors que la matonnerie le lui refusait (depuis, selon son souhait, elle a été transférée, elle devrait même être dehors à l’heure qu’il est).

Le 3 décembre, on n’a pas eu accès à cette salle car elle sert aussi de vestiaire quand il y a des arrivantes. Et le 4 au matin, une affiche la déclarait fermée, sans explication et sur ordre de la direction.

J’ai demandé aux surveillantes puis aux gradés pourquoi, aucun n’a voulu me répondre, tant il était évident que c’était juste une crise d’autorité injustifiée. Je suis alors allée demander à l’officier, dans son bureau. Il a encore forcé la dose sur l’autoritarisme et le mépris, m’envoyant, grâce à un CRI mensonger, au mitard pour 18 jours. Au prétoire du 6, la directrice a dit qu’elle ré-ouvrirait la salle « dans une semaine ».

Mais quand je suis sortie du QD le 21 décembre, la salle était toujours fermée, sans plus de raison. On en a parlé en salle de muscu avec les filles du RDC et on a décidé de demander la ré-ouverture mais aussi une ouverture exceptionnelle le 1er janvier à midi « pour commencer l’année sous le signe de la bonne camaraderie », selon les termes de notre courrier signé par 11 d’entre nous (sur 13 au rez-de-chaussée !). Les chefs ont eu cette lettre collective le 24 au soir. Le vendredi 27, on n’avait toujours pas de réponse. J’ai insisté auprès des chefs qui m’ont refusé une audience mais ont pris 5 filles à part pour leur dire « Ne suivez pas Ribailly dans ses conneries. On peut très bien vous mettre un CRI car les pétitions sont interdites. C’est nous, et nous seuls, qui décidons si la salle sera ré-ouverte et quand ». Elles sont rentrées à fond dans la menace et m’ont dit qu’elles feraient rien qui risquerait de déplaire à la pénit’. Moi, j’ai chopé la directrice dans le couloir dès que j’ai pu, c’est à dire le lundi 30. Elle m’a dit, une fois qu’elle a compris que je lui collerai aux basques jusqu’à avoir une réponse, que la salle serait ré-ouverte le lundi 6 (c’est à dire à la fin des vacances scolaires, quand les activités reprendrons, logique,…) et qu’ils allaient décider en équipe pour l’ouverture de mercredi, qu’on en serait informées le lendemain en fin d’AM.

Donc le mardi 31, à 15h, juste à la sortie du gymnase, je suis appelée au bureau des chefs. Il y avait 2 bricards, Ho-a-Kwie et Borde, une nouvelle. Il m’a dit : « Je t’ai appelé pour te donner la réponse pour la salle demain ». J’étais convaincue que c’était refusé et j’ai dit : « pourquoi juste moi ? On est 11 à l’avoir signé cette lettre, il y a une semaine ! » Il a essayé d’expliquer que j’étais la seule à avoir mis une affiche (c’est vrai et ça m’a valu un CRI de plus, à mettre sur la pile), à avoir alpagué la dirlo, donc que j’étais la porte-parole. J’ai refusé ce terme et il m’a dit qu’il préviendrait chacune des filles individuellement. Après, ils m’ont passé des documents administratifs, en partie périmés que j’ai bâclé, et je suis partie. Une dizaine de minutes plus tard, j’étais de retour, un peu calmée et j’ai demandé un imprimé pour répondre aux papiers que j’avais jetés. Et (et c’est juste à ce moment-là que j’ai eu tort car je savais qu’ Ha-o-kwie est un sale menteur), avant de partir, je me suis retournée vers lui :
Tu préviens les filles une par une, hein ? Parce que depuis 10 min, tu n’as rien fait, alors que la moitié sont à la biblio où tu pourrais nous parler à toutes en même temps.
Je fais ce que je veux !
Non, foutu psychopathe, tu ne fais pas ce que tu veux ! Tu as pris un engagement, tu le tiens ! Si t’as un problème avec la « toute puissance », vas donc voir le psychiatre que vous m’avez balancé dans les pattes alors que je réclamais la radio au mitard !
Tu t’en vas de ce bureau !
Et pourquoi ? Pour te laisser le temps de rédiger un CRI pour l’affiche, alors que tu dois nous répondre ?
J’ai dis que je te répondrais. Je le ferai si je veux, c’est ça la liberté d’expression !
Sale menteur ! Vous passez votre temps à ça : mentir et menacer. Comme quand vous avez dit aux filles de se méfier de moi…
On sait bien que c’est toi qui a écrit cette lettre. Et il n’y a que toi qui fait chier…
Quoi ? J’ai pas écrit cette lettre ! Je l’ai rédigée, c’est tout ! On est 11 à l’avoir signée !
Ouais, t’as même fait signer les filles qui savent pas écrire !
Qu’est ce que tu dis là ? C’est vous qui menacez les filles, pas moi ! Y a des filles qui t’ont dit qu’elles avaient signé alors qu’elles ne voulaient pas manger ensemble, peut être ?
On m’a dit que tu leur faisais peur…
Là, ça a été trop ! J’ai fait un pas en avant, bien vif, dans sa direction, mais sans le toucher. Borde et deux matonnes qui s’étaient approchées à cause du bruit de l’engueulade, m’ont saisie par le bras, lui a bondi de son siège, effrayé. Je n’ai pas bougé, j’ai juste ricané : « C’est toi qu’a peur, minable menteur ! ». Alors qu’elles étaient trois à me tenir sans que je me débatte, il a pointé son index sur moi pour me menacer : « c’est une agression sur personne ! Tu vas manger ! ». Je l’ai laissé délirer trente secondes puis, lassée, j’ai fait mine de le lui happer le doigt. Je sais que je n’ai pas serré les dents, mais il est aussi douillet que lâche et l’alarme a été lancée. Ils m’ont foutue au sol et menottée dans le dos pendant que ce salaud m’envoyait des coups de poing au visage.

Au mitard, ils m’ont arraché mon survêt’ (avec lacet) et m’ont laissée à poil et menottée pendant près d’une heure. Je n’ai eu l’ensemble de mes affaires que 36h plus tard. Je n’ai vu le toubib que 72h après, c’est à dire après le prétoire qui a eu lieu le 2 janvier.

Le prétoire a été dégueulasse. Il y avait un vice de procédure énorme (je n’ai pas eu le dossier 24h avant ) mais mon commis d’office était minable. Il n’y avait pas non plus les images de la caméra qui donne sur le bureau des chefs et qui devaient montrer les coups de poing au visage (confirmés par le certificat médical, 3 jours après). Il n’y a même pas le Compte Rendu Professionnel (CRP) d’une matonne qui dit que j’ai crié au chinois « c’est toi qui a peur ! » et qu’elles me tenaient quand je l’ai « mordu », mais la dirlo n’en a pas tenu compte. Il n’y avait aucun certificat médical constatant cette « grave blessure » que je lui avais infligé. Bref, sans originalité, j’ai pris 30 jours avec une promesse de dépôt de plainte et de transfert disciplinaire à la clef.

Le lendemain, le mitard étant très proche de la cour du RDC, les filles m’ont saluée et m’ont dit qu’on leur avait proposé à 11h d’aller à la salle de convivialité. À sept, elles ont partagé le sac que j’avais préparé pour ça (soda, gâteaux, bonbons, saucisson). Elles n’y sont pas restées à midi parce que c’est interdit d’y fumer. Depuis, je ne les ai pas ré-entendues dans la cour mais l’aumônière m’a dit qu’elles me saluaient bien.
Une autre bonne nouvelle : mercredi, bien sûr, quand j’ai pu aller en promenade, j’ai dit : « je rentrerai quand il y aura un transistor ». Ils sont venus, comme d’habitude, avec casques et boucliers. Jeudi, ils m’ont laissée en promenade de 11h à 14h30 ! Mais quand je suis rentrée en cellule, en plus de la gamelle froide, il y avait un petit poste de radio FM. On ne capte que Radio Autoroute, ce qui n’a rien d’exaltant, mais c’est quand même une victoire. Ma voisine de QD qui était là depuis 12 jours, a eu aussi le sien. Elle n’a pas compris l’ironie quand j’ai lancé « El pueblo unido jamás será vencido » en guise de chant de victoire. […]

Les 30 jours sont passés, lentement bien sûr, mais sans trop de provo, à part le refus de courrier interne, commun à tout le CPSF (Centre Pénitencier Sud Francilien), de leur part. J’avais la radio et j’ai eu un parloir de 2h30 avec ma mère. J’appréciais les visites des aumônières ou autre pour le break, pour voir des gens sans uniforme. J’attendais aussi la GAV. Elle n’a eu lieu que le 28, à la toute fin. Contrairement aux gendarmes de Bapaume, les flics de Moissy on été bien cons durant la GAV, singeant la paranoïa des matons, même après 2 heures d’audition. J’ai appris, quand j’ai pu lire le dossier avec l’avocat de la comparution immédiate, que ce pauvre maton violenté, qui a récupéré 1 jour d’ITT (alors qu’il était au boulot le lendemain), n’a été déposer plainte au comico de Moissy Cramayel que le 22. Au tribunal, à 20h30, j’ai refusé d’être jugée sans un avocat correct et avec plein de pièces manquantes (notamment le témoignage de la matonne du 31 décembre, mon certificat médical du 3 janvier et les images de la caméra de la coursive). Bref, je repasse le 5 mars à 13h30 au TGI de Melun et Ha-o-Kwi sera partie civile (pour avoir un 13ème mois).

Le lendemain, j’étais, après 30 jours de QD, transférée à Rennes. Là, je suis au quartier arrivante du CD. L’architecture ici est très différente des prisons Bouygues. Il y a moins de caméras et pas de sas. Les matons ne sont pas cachés dans leurs aquariums à déclencher des portes à distance. Donc ils sont moins paranos, donc ils sont moins dangereux, donc ça va mieux. Bon, je ne me fais quand même pas d’illusion, j’attends de voir où se niche leur perversité… en profitant de l’herbe dans la cour de promenade et en retournant au sport.

Lettres de Réau ( oct / nov 2013)

Centre pénitentiaire de Réau, dimanche 20 octobre 2013

À Séquedin, jeudi 17, ils m’ont dit de faire mes cartons pour 8 heures du mat’. J’étais contente, car ça voulait dire que j’allais arriver ici au quartier arrivant, normalement, pas au mitard. Et puis je me disais qu’à Réau, je ferais la connaissance de Kaoutar dont j’avais lu les combats dans l’Envolée. Bref, j’ai fait mes cartons sans traîner, et accepté la fouille à poil sans rien dire. Au greffe, j’ai signé mes papiers pour la compta et la chef de détention a dit de ne pas s’emmerder avec la prise d’empreinte du doigt. Elle m’a saluée convivialement, certes contente que je débarrasse le plancher, mais je l’ai cru sincère quand elle m’a souhaité bonne chance pour la suite.

Quand la chef d’escorte a voulu me menotter devant, je lui ai demandé si c’était un fourgon cellulaire. Comme elle m’a répondu que oui, j’ai refusé le menottage en lui citant l’article 803. Je l’avais déjà fait avec les gendarmes lors de l’extraction pour le procès à Arras le 19 septembre et ils avaient compris, il n’y avait donc pas eu de problème. Mais il faut croire qu’à l’Administration Pénitentiaire (AP), ils savent moins lire… Bref, ils m’ont dit de retourner en cellule le temps de rappeler la chef de détention. Elle est revenue vingt minutes après pour me dire que ce n’était pas négociable, que c’était systématique, ce qui est totalement illégal. Je suis restée très calme, n’ai pas crié et ai ré-expliqué et cité le texte. Elle est partie se coordonner avec le directeur, j’imagine. J’ai eu espoir un moment car ils avaient tout intérêt à ce que je parte et je restais très calme, absolument pas menaçante. Mais je les ai entendus s’équiper avec les boucliers et se coordonner.

Quand ils m’ont plaquée au mur dans la cellule, je n’ai pas réagi. J’allais me laisser menotter car la Spip (une femme bien, c’est assez rare pour le noter) m’avait
promis qu’elle ferait tout pour que je puisse voir mes parents au parloir samedi, que ça soit à Séquedin ou à Réau, et je n’avais aucune envie d’être marquée au visage. Mais ils gueulaient et ils m’ont balancée au sol. J’ai essayé de me débattre, et comme régulièrement à Séquedin, ils m’ont envoyé des coups de poing dans la gueule. Ils m’ont menottée dans le dos en faisant exprès de me faire mal, et mis les entraves. J’ai résisté vaillamment pour ne pas rentrer dans la cage du camion, mais un casqué m’a prise à la gorge et je n’ai pas pu bloquer longtemps. J’ai passé deux heures de route pas cool, avec l’œil qui gonflait et les poings ankylosés dans le dos.

Je n’avais pas vraiment mal mais j’étais dégoûtée de devoir expliquer à mes parents dans deux jours que je m’étais encore fait casser la gueule, alors que tout devait se calmer. Alors, une demi-heure avant d’arriver, une fois que j’étais bien calmée, j’ai demandé à la surveillante de sortir du camion juste avec les menottes devant, pour ne pas reproduire l’image qu’ils m’avaient fabriquée à Bapaume et Séquedin. Elle a compris et a négocié avec le chef d’escorte qui a promis. Mais sur le parking de la zonz’, il n’est pas venu me retirer les entraves. Et quand on est arrivés dans le sas, devant le greffe, il est allé prévenir ses collègues avant de m’ouvrir. Bref, j’avais les larmes aux yeux quand une bricarde d’ici est montée dans le camion me dire qu’ils allaient me dé-menotter si je promettais de ne pas cogner. Dans le couloir du greffe, il y avait déjà quatre casqués avec les boucliers… Bien sûr, comme d’habitude, j’ai refusé de donner mes empreintes et la photo.

Le chef de détention m’a alors prise dans son bureau un quart d’heure pour me faire la morale : tout allait recommencer à zéro, j’allais arriver au quartier arrivants, mais il fallait que j’y mette du mien. Je lui ai expliqué que je n’accepterais pas une deuxième fouille à nu car ils ne m’avaient pas lâchée depuis quatre heures. Il m’a dit que les nouveaux portiques promis par Taubira étaient arrivés et qu’il n’y avait pas de fouille systématique après les parloirs. Il insistait surtout pour que je fasse l’empreinte biométrique pour la carte de circulation, qui semblait leur être très importante.

Puis il m’a refilée à une bricarde du CDF(Centre de Détention pour Femmes) le temps d’aller téléphoner. Il y avait aussi une gradée, elles ont continué à me mettre la pression surtout pour la carte en alternant promesses et encouragements. J’étais épuisée et j’ai cédé. J’ai mis ma main dans la machine, avec les casqués à deux pas. Ils ont volé une photo pendant que je signais le papier (pas d’empreinte digitale). Il n’y a pas eu de fouille intégrale et elles m’ont conduite, sans les casqués, au CDF. Dès que j’ai été en cellule, bien qu’il y ait le repas sur la table et qu’il soit 13 h 30, je me suis couchée.

Ils m’ont réveillée une heure plus tard pour voir la toubib qui m’a fait un certificat de coups et blessures. Puis j’ai revu la bricarde dans son bureau, accompagnée de la directrice. J’ai essayé de leur expliquer les règles à respecter. Quand on a fait l’inventaire de mon paquetage, la directrice a tiqué sur l’Envolée et les bouquins sur les socialistes utopiques (je suis des cours d’histoire avec Auxillia) et ça m’a fait rire. Elle m’a même demandé de quelle organisation je faisais partie, alors que je n’ai jamais été encartée à quoi que ce soit, sauf six mois à la confédération paysanne lors de mon installation agricole.

Puis je suis allée en promenade où j’ai rencontré une dizaine de filles qui sont en « portes fermées ». Il y avait notamment Kaoutar, qui vous passe le bonjour. Elle m’a expliqué qu’elle avait pris vingt jours de mitard mais que le psy avait ordonné le fractionnement : deux jours au Quartier Disciplinaire (QD), trois jours en bâtiment, sur deux mois. […] Ici beaucoup de filles sont ensuquées au médocs. Le shit est objectivement le meilleur allié de l’AP !

La nuit, ils sont passés donner de la lumière toutes les heures, comme si j’étais suicidaire. À chaque sortie de cellule, ils étaient au moins quatre. Les filles m’ont dit qu’ils leur avaient aussi conseillé de se méfier de moi. Donc j’ai fait un mot dès le vendredi matin pour leur dire d’arrêter leur provocation. J’ai vu un autre chef pour l’entretien d’accueil et le dépistage suicide et j’ai renouvelé ma demande. Le soir, à la gamelle, ils m’ont dit qu’ils arrêteraient de venir toutes les heures. Effectivement, depuis, ils viennent toutes les deux heures ! Et ils sont toujours en surnombre pour mes mouvements. Donc je mets le cache sur l’œilleton et je leur ai expliqué pourquoi.

Samedi j’ai vu mes parents au parloir pendant deux heures et demi. Mais ils ont imposé des fouilles (palpation à l’entrée, à nu au retour) sous prétexte que les nouveaux portiques étaient certes arrivés, mais pas mis en place. J’ai râlé un peu mais j’ai accepté comme à chaque fois qu’ils tiennent mes proches en
otage. Aussitôt après, j’ai voulu aller en promenade, une fois déposé mon sac de livres et de linge propre en cellule. Ils ont accepté mais m’ont demandé de repasser sous le portique détecteur de métaux alors qu’ils ne m’avaient pas lâchée depuis la fouille. J’ai gueulé et j’ai crié « Bip-bip-bip » en passant dessous : « Là, ça va comme ça ? » Quand j’ai atteint la porte qui donne sur la cour, quatre casqués étaient en train d’arriver en courant au CDF. Je les ai ignorés et suis allée en promenade. Le CDF a été bloqué vingt minutes, sans explications. Le retour s’est fait normalement, mais avec quatre maton(ne)s. Ma cellule n’avait pas été fouillée.

Dimanche, je n’ai pas vu le chef à qui j’ai écrit. J’espère que ça sera aujourd’hui (il est maintenant 5 h 30 du mat’ et je continue cette lettre car j’ai été réveillée par les contrôles nocturnes). Hier j’ai essayé d’expliquer au bricard que si je ne lui disais pas « bonjour », c’était une forme de respect par le refus de l’hypocrisie : je n’ai aucune envie qu’il passe une bonne journée : j’espère chaque fois qu’il y aura des évasions et des mutineries. Je ne pense pas qu’il a compris…

Bon, voilà les news, à utiliser comme bon vous semble […]. Les infos circulent, le dehors bouge aussi, c’est l’essentiel. […] Gardez la niaque et à la prochaine.

Centre pénitentiaire de Réau, vendredi 22 novembre

Jeudi, je devrais avoir le délibéré du procès du 19 septembre à Arras. De manière un peu originale, le juge avait demandé une visio-conférence quelques jours avant. Je n’avais pas bien compris pourquoi car je n’ai pas la possibilité de parler à l’énoncé du verdict. Je me suis dit que c’était juste de la perversité de sa part : il voulait voir ma tronche quand il me dirait que j’ai pris un an de plus pour n’avoir même pas cogné sur des matons, et peut être avoir une possibilité de relever un outrage à magistrat… Bref, à 15h15, j’étais dans la salle de vidéo, au parloir avocat.

Pendant presque 3/4h, la surveillante a bataillé pour mettre la machine en marche car la connexion ne passait pas malgré de multiples essais. Ça commençait à me gonfler et j’avais envie d’une clope. J’ai dit à la surveillante « Mais on s’en fout de la vidéo ! Tu téléphones juste au tribunal pour leur demander la sentence, c’est tout ». Bien sûr elle a répondu : « je ne peux rien décider, je vais voir le chef ». J’ai réussi à ne pas crier en disant : « Mais pourquoi t’as besoin d’un chef ? Cette justice est rendue au nom du peuple français. T’en fais parti, non ? N’importe qui peut rentrer dans la salle là-bas. Y a pas besoin de chefs pour que j’arrête de glander ici : tu te renseignes et je vais en promenade. » Pour que je ne puisse pas fumer sans me prendre un Compte Rendu d’Incident (CRI) [2], elle m’a collé dans une cellule plus petite, sans fenêtre.

Au bout d’un quart d’heure, l’officier du CDF est venu me dire qu’il avait eu le juge au téléphone. Le délibéré est repoussé d’une semaine et il demande une extraction. Je n’en revenais pas : une virée Paris-Arras, 5h de route, cinq gendarmes au moins (ou 2h de TGV et trois gendarmes) pour 5 minutes au tribunal !

J’ai appelé l’avocat pour savoir ce qu’il en pensait et lui aussi est étonné. Ça nous permettra au moins un RDV…

Cette insistance du juge pour me parler me fait espérer qu’il a quelque chose de sérieux à me dire. Pourtant, ma plainte contre Bapaume, déposée le 12 juin, n’est toujours pas enregistrée et l’avocat fait les démarches pour contrer le parquet et obliger un juge d’instruction à s’y coller. Alors quoi ? C’est juste pour me faire la morale ? Encore quelques jours avant de savoir…

Ici, la situation se tend un peu avec la matonnerie. Quand je suis arrivée, le 17 octobre, le chef de détention en personne m’a demandé de prendre la carte biométrique en m’assurant que ça ne serait pas transmis au FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) ou autre. Comme il m’a promis que je serai au Quartier Arrivants (QA), avec le même régime que toutes les autres filles et que j’étais fatiguée par la dernière démonstration de force de Séquedin (voir le récit précédent), je l’ai acceptée.

Mais durant 5 jours, il y avait une escorte renforcée (sans bouclier/casque) à chaque ouverture de cellule, des contrôles nocturnes très fréquents, et je ne suis toujours pas à l’étage, en portes « ouvertes ». Donc le 23 octobre, je lui ai rendu la carte en lui disant qu’il n’était qu’un menteur. Je pensais que cette provocation allait le faire réagir, mais il a laissé couler. Durant 3 semaines, je me suis très bien passée de cette carte pour tous les mouvements (activités, promenade et même accès à l’infirmerie, dans un autre bâtiment). Ils me mettaient juste la pression pour les parloirs et là, comme ils tenaient mes proches en otages, je me soumettais.

Mais ils ont organisé un prétoire jeudi au sujet de cette grève de carte. Bizarrement, ils ont été réglos et m’ont notifié qu’une faute du 3ème degré (7 jours maxi de mitard). J’étais contente de revoir le chef de détention, Schesser, que je réclamais en vain depuis plusieurs jours. On a discuté très clairement, sans compromission. J’étais sûre d’aller au QD, j’avais préparé le sac. Mais il ne m’a mis que 5 jours de sursis et m’a dit de reprendre la carte ; Bien sûr, j’ai refusé puisqu’il ne s’était pas excusé de ses mensonges. Donc, il a remis un nouveau CRI et je repasse en commission de discipline la semaine prochaine. Depuis, le chef de bâtiment m’a refait la morale à coup de « il s’en fout, il n’est pas ici, mais planqué dans son bureau. Il est orgueilleux et ne lâchera pas. Acceptez la carte et vous monterez vite à l’étage. Sinon, ça va devenir de plus en plus dur pour vos parloirs. »

J’attends le prochain prétoire pour décider de mon attitude face à ce menteur. Rassurez-vous, je me souviens de ce que j’ai dit le 19 septembre à Arras : je n’irai plus dans une bagarre que je ne peux pas gagner. Je vais essayer de tenir mon orgueil en laisse et ne pas pourrir mes parloirs mensuels avec mes parents. Ceci dit, je maintiens : on ne peut pas être respecté si on n’est pas respectable.

Centre pénitentiaire de Réau, mardi 12 novembre

Salut ! Pour moi, depuis presque 4 semaines ici, ça ne se passe pas mal . Certes, je suis toujours en « portes fermées » alors qu’après le temps d’observation en QA, durant 10 jours dont 5 jours avec un renfort de matonnerie à chaque ouverture de cellule, ils ont bien compris que je savais m’adapter à la vie en collectivité. Mais j’ai l’impression qu’on atteint une espèce d’équilibre dans le pouvoir de nuisance. À la différence des premières semaines à Bapaume, où je ne m’étais pas faite cognée dessus non plus, ici ils n’esquivent pas le conflit par la bonhomie. Il est affirmé des deux côtés qu’on n’est pas potes, mais pour autant, par économie et confort, aucun n’a envie d’aller au physique.

Par, exemple, jeudi soir, c’est monté haut en décibels pour une histoire d’accès à la promenade où on est censé rester 2h en rang, ce qui est bien long surtout avec cette météo hivernale. Or j’ai dégoté deux lignes dans la règlement interieur qui dit qu’on peut aller en promenade après une activité. Donc il suffit d’aller à la biblio ou à la muscu durant 1h ou 1h30 pour rester dans la cour 1h ou 1/2h. Ça a énervé des matons plus habitués à la normes qu’à la règle, mais ils ont dû céder. L’un d’eux m’a même dit le lendemain : « Je ne devrais pas te le dire mais en vrai tu nous es utile car tu oblige la direction à prendre position au lieu de nous laisser nous démerder, nous surveillants de base, avec des textes inadaptés » ! V’la l’meilleur maintenant : la récupération !

Pour arriver à rire de ça, j’ai une vrai aide. Tous les jours, je vais à la salle de muscu au moins 1h.

Je fais du rameur, en endurance ou en résistance, des séries d’abdos, des exercices de musculation des épaules (c’est ce qui fait le plus mal quand ils tordent…). De sentir le cœur accélérer parce que l’écran indique qu’on a parcouru 5km à vélo (même si on a pas bougé d’un centimètre) c’est bien plus agréable que de le sentir cogner parce qu’on se dit : « Je viens de les envoyer chier. Là, ils en réfèrent au chef. Dans 10min, ils reviennent avec les casques et les boucliers. Dans un quart d’heure, je suis au mitard, les épaules en bouillie. Ah ! Je les entends… Oh putain, ils sont au moins dix ! ». Je me tape une bonne sué tous les jours, ça me fatigue et me détend à la fois. Pour eux aussi, même s’ils doivent gérer des mouvements [3] supplémentaires (notamment la promenade pour une demi-heure…), je suis sûre qu’ils se disent « Pendant 1h on ne la pas entendue, là, entre la douche et la sieste, on a encore 1h de tranquille… ». j’ai essayé d’expliquer à une surveillante qui voulait me brancher en discussion sur le bien être sportif que si elle en était convaincue c’était la dernière chose à supprimer quand un(e) taulard(e) s’énerve et non la première entre Quartier d’Isolement (QI), confinement, QD et autres saloperies, de punitions, de privations.

J’ai aussi commencé des cours (arabe pour débutante et espagnol) et des activités (chant, sophrologie, volley et badminton). La qualité varie beaucoup selon l’intervenant. Par exemple, le prof d’arabe est bien institutionnalisé, alors que la prof d’espagnol vient pour la première fois en taule. Elle est arrivée une demi-heure en retard au premier cours et nous a dit « Désolée, je ne pensais pas qu’il y avait autant de protes et de sas. Il a même fallu que je vide tout mon sac et leur laisse mon portable… », on a répondu « Sans dec’ ? » en ricanant « et encore, si t’avais eu un soutien gorge à baleines, tu y serais encore ! ». On lui a aussi expliqué que si elle voulait qu’on ait un cahier et un stylo, elle ferait bien de nous les fournir car on aller pas empiéter sur notre pécule pour le tabac. Tout ça l’a un peu étonnée, nous ce qui nous a étonné c’est le rythme auquel elle nous a mis au boulot : en 45min, on a appris les jours de la semaine, les 12 mois, à compter jusqu’à 100 et quatre phrases de base ! En 3h d’arabe, on a appris péniblement cinq phrases par cœur…

Les autres activités sont aussi assez aléatoires car, par exemple, on ne peut pas aller au gymnase pour faire volant si on est moins que trois (alors qu’il y a là-bas deux profs payés par l’AP). L’activité couture à laquelle je me suis inscrite il y a 8 jours a été annulée totalement aujourd’hui, une demi-heure avant l’horaire prévu du début…

Je sais bien que cet équilibre est précaire, qu’ils peuvent à tout instant décider de retourner à leur habitudes de répression. Ils ont déjà le moyen de mettre la pression car je leur ai rendu leur carte de circulation informatisée qu’ils m’ont refourguée à coup de mensonges et de promesses à mon arrivée ici il y a un mois. Pour l’instant , ils ne m’obligent à l’utiliser que lors des parloirs, quand ils tiennent mes proches en otages. Le reste du temps, ils s’en passent : ils ne vont pas me mettre à la porte ! Mais s’ils veulent, ça peut entraîner un CRI à chaque sortie en promenade. Un peu comme le refus d’ADN au pénal, ça peut faire enquiller des peines de 7 jours de mitard à l’infini…

Voilà juste un an que je suis enfermée. L’anniversaire c’était samedi 9 novembre. J’aimerai bien que ça continué comme ça, même si je ne monterai jamais à l’étage des « portes ouvertes ». Si je suis encore là en janvier je pourrais commencer un formation horticulture. Ce n’est pas qu’un CAP me tente, mais j’aimerai pouvoir me salir les mains avec de la terre, à bosser avec du vivant…

En février je devrais pouvoir recevoir mes parents 6h en UVF (Unité de Vie Familiale) [4]. Pour ça, il faudrait que je reste plus que 3 moi, ce qui n’a pas été la cas dans les cinq taules précédentes…

Dans une semaine, j’aurai le délibéré du procès d’Arras du 19 septembre où la proc’ a demandé un an à cause des peines planchers. Et puis, il y a encore le procès de Lyon où javais pris 4 mois le 13 février et où le proc’ a fait appel : on n’a toujours pas la date. Au mois de novembre, il dois y avoir une Commission d’Application des Peines (CAP) où il me diront que tout mes CRP (Crédits de Réduction de Peine) [5] ont sautés et que je n’aurai pas de RPS (Remises de Peines Supplémentaires). Les démarches pour la confusion de peines traînent. Je vais passer un 2ème Noël loin de mes parents… Fait chier !

Christine

Lettre du 26 sept / Sequedin

Ci-dessous un extrait de courrier une semaine après le procès :

Séquedin, jeudi 26 septembre 2013

[…]
Après l’audience, comme à chaque fois, les gendarmes sont un peu dépités de s’être fait prendre au jeu de ma prétendue dangerosité. Alors, ils sont plus cool : plus de menottage systématique, pause clope, tutoiement respectueux…pour se différencier de leurs collègues précédents. Là, dans la cours ou on clopait avant de remonter dans le fourgon sans pot d’échappement [?], l’un d’eux m’a dit : « tu sais, je vais bientôt venir te voir au parloir : B. a déposé plainte pour diffamation… ». Ça explique le délire de son baveux sur ma manipulation par les méchants anars pas polis qui domicilient leurs sites à l’étranger…
Mais l’acharnement ne s’arrête pas là. Demain je passe au prétoire pour 4 CRI (Comptes Rendus d’Incident) chopé à mon arrivée ici pour des revendications qui ont abouties après la grève de la faim.
Je risque à nouveau 30 jours, 2 mois plus tard. Heureusement mon avocat a dit qu’il serait là pour m’assister.
Tu crois que là ça suffit ? Petit joueur ! J’ai aussi vu la semaine dernière un maton enquêteur pour le CRI rédigé le 25 juillet à Bapaume à propos de la « prise d’otage ».
Je suis à peu près sure que c’est illégal de passer à Séquedin en commission de discipline sur ça, le prétoire n’étant qu’une mesure interne et disciplinaire, pas un jugement. J’espère que mon avocat pourra le démontrer.
Mais c’est toujours pas fini ! En lisant ce dossier disciplinaire, j’ai vu une lettre de la direction de Bapaume au parquet, à la DI, au JAP et à la gendarmerie à propos de cette « prise d’otage » et d’une matonne qui a été blessée par ses collègues lors de ma réintégration de cellule. Pour l’instant, je n’ai pas vu les gendarmes à ce sujet, mais ça m’étonnerai que ça soit classé sans suite. La procureur y avait d’ailleurs fait allusion à l’audience du 19 septembre (…).
Pour faire bonne mesure, on peut y ajouter une plainte déposée par les matons de Séquedin le 31 juillet, alors qu’ils me tapaient sur la gueule. Là aussi deux d’entre eux ont été blessés dans la [mêlée], dont un assez gravement au genou (évacuation par les pompiers). Pour ça, j’ai vu un expert psy (encore un !) le 17 août (un samedi !), mais avant même d’avoir vu les gendarmes. Depuis je demande en vain des infos au greffe.
Voila la démonstration est faite : l’AP fabrique du récidiviste. Voila comment la provo de B. amène à 30 jours, qui amènent à 30 jours, qui en ramènent eux même à 30 jours. A ça, il faut ajouter un procès qui en amène un autre et deux autres encore par les mêmes plaignants. Bien sur il ne faut pas oublier d’ajouter les CRP [Crédits de Réduction de Peine] qui vont faire sauter les prochains aménagements de peine. Du grand art ! Je suis moi même époustouflée par cet acharnement : il n’y a vraiment rien qui les arrête puisque, malheureusement, le ridicule ne tue pas !

Christine

Lettres de Sequedin (juillet / aout 2013)

Fin juillet, une autre détenue est placée au mitard dans la cellule à côté de Christine. Celle-ci est violentée par les matons et peine à avoir un entretien avec un médecin. Christine décide alors de refuser de remonter de promenade en solidarité avec sa voisine de cellule. Aucun résultat. Les matons ne répondent alors plus à ses appels incessants à l’interphone. Pour les faire se bouger, elle leur dit alors « il va y avoir de la prise d’otage dans l’air ». Rapidement matons et toubib viennent voir sa voisine, mais le toubib refuse d’entrer dans la cellule, puis s’apprête à repartir sans aucune consultation. Christine l’interpelle en lui disant de ne pas partir car elle avait dit qu’elle ferait une prise d’otage. Ni une ni deux, elle est renvoyée en cellule par une dizaine de matons. Quelques heures plus tard, on vient la chercher pour la transférer à Lille-Sequedin.

Arrivée là-bas, une note interne interdit au personnel soignant de rencontrer Christine sans la présence des matons. Ces derniers s’y plient. Christine se lance alors de nouveau dans un bras de fer, cette fois-ci pour elle-même avoir droit à une consultation médicale. Refus de remonter de promenade, incendies de poubelles, rien n’y fait et le niveau de violence que les matons donnent en réponse ne cesse de grimper. Christine décide alors de faire une grève de la faim et de la parole. Ils l’ignorent ou tentent de l’en dissuader, mais Christine tient bon. L’OIP de Lille est réactif et somme l’Administration Pénitentiaire et le service médical (UCSA) de s’expliquer sur la situation.
Le lendemain, au bout de huit jours de grève de la faim, Christine obtient satisfaction vis à vis de ses revendications (consultations permettant le secret médical, coup de fil à son avocate et entretien avec la direction).
Le 16 août, les 45 jours de mitard écoulés (15+30 avec une pause de quelques jours. Maximum 30 jours de mitard consécutifs depuis une réforme de 2009) elle sort mais est placée directement en Quartier d’Isolement (QI).
Cela ne durera qu’une semaine. Le 22 août, elle est de nouveau placée au mitard. Cette fois-ci pour avoir fait valser un vélo après s’être vu refuser de passer l’heure de sport avec sa voisine de QI.
Elle passera lundi 26 août en commission de discipline pour ces faits mais également pour « violences aggravées » contre des matons (au moment de son bras de fer pour voir le toubib). Ils se seraient blessés en cognant Christine… Ils ont également porté plainte.

 

SEQUEDIN,
dimanche 28 juillet

Bon ben, j’ai encore changé d’adresse. […] Me voilà à Lille, de la Redoine Faïd est arrivé à mettre les voiles. Comme je n’ai pas son réseau, je pense pas pouvoir sortir du Quartier Disciplinaire [QD/mitard] avant le 20 août et d’ici avant le 20 septembre, après le procès d’Arras.

Pour résumer l’histoire, […]mercredi ils ont amené K. une fille que je connais à peine, avec l’équipement anti-émeute que je me croyais réservé. Elle était super énervée, même quand ils sont partis. Elle gueulait toute seule à coup de «  j’m’en fous », «  bande de salopes », « j’vais aller à l’hosto » et tapait sa fenêtre comme une sourde. Elle ne me répondait pas et les a envoyés chier quand ils ont ramené la gamelle.

Mais enfin, vers 3h, elle a eu une demande claire : elle voulait aller au téléphone pour appeler SOS amitié (n° gratuit). Ça aurait été le moyen qu’elle discute, mais ils ont botté en touche à coup de « on verra plus tard ». Moi même j’étais assez énervée par le bruit qu’elle faisait et par le retard du courrier (distribué normalement à midi). Bref, elle a bouché les chiottes et a déclenché la chasse d’eau une centaine de fois. Au bout d’une demi heure, le QD (nos 2 cellules et le couloir) était noyé. Quand je leur ai dit à l’interphone, d’un seul coup, ils ont été disponibles. Ils m’ont collée en promenade avec mon courrier et ont nettoyé ma cellule. Mais elle, ils ne lui ont pas ouvert, ces cons ! Je leur ai dit ce que je pensais de leurs méthodes et ils m’ont répondu qu’elle avait les mêmes que moi (sauf que là il n’y a pas « dégradation par moyen dangereux » comme avec le feu). À 17h30, quand ils m’ont ouvert pour rentrer, je leur ai dit que j’avais un devoir de solidarité et que je ne rentrerai pas tant que K. n’aura pas ses lunettes, son tabac, ses bouquins et les couvertures qu’ils étaient venus lui prendre avec les casqués à 16h. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire sans l’équipe alors je leur ai dit que j’attendrai dans la cour qu’elle arrive. Je pensais voir débarquer les casqués pour me remettre en cellule, mais ils ne sont revenus qu’à quatre dont le directeur Mathieu. Le chef du Quartier Femmes (QF), Wattel, m’a dit qJe suis sortie du mitard ce WE. Pas originaux, ils m’ont collé direct au QI, comme à Joux.
Ils ont justifié ça par le dossier disciplinaire, ce QI n’est pas valable. En vrai, ils ne veulent pas que j’aille en bâtiment où les filles (et les mecs aussi d’ailleurs) se font tripoter avant chaque promenade. Ils savent que je refuserai la palpation et n’ont pas envie de me cogner dessus à 10 contre un devant les filles qui pourraient être choquées et du coup (oh horreur !) solidaires.
[…] Hier, lundi, [ma voisine de QD] passait au prétoire. Moi j’étais dans la salle où il y a le téléphone, à une dizaine de mètres. J’ai entendu qu’ils la rentraient de force, elle criait qu’elle avait mal. Forte de l’expérience passée et de la promesse du psy, elle pensait que ça s’arrêterait là, mais ils lui ont mis 30 jours ! Devant leur violence (4 matonnes étaient arrivées en courant au QD en plus), j’ai cogné sur la porte de la salle. Bizarrement, en quatre coups de pied, j’ai fait péter la serrure et me suis retrouvée dans le couloir qui donne d’un côté sur le QD de l’autre sur le QI et de l’autre sur la rotonde et l’accès à la grande promenade. Je suis allée vers le QD, il y avait 6 matonnes derrière la porte, dont la directrice. Une brigarde moins conne que la moyenne m’a dit : « Je t’assure qu’on ne l’a pas cognée, je ne l’ai même pas menottée. Là, le psychiatre va venir. Mais toi, on a jamais vu ça et l’alarme a été déclenchée. Regarde les gars arrivent. Couche-toi au sol c’est le mieux  ». J’ai plutôt confiance en elle et je l’ai crue. Je me suis retournée vers l’autre bout du couloir. À 20m, derrière la grille, il y avait 5 mecs. Je leur ai crié : « Qu’est ce que vous voulez ? ». Il m’ont dit « Rentre dans la pièce » et je suis retournée calmement dans la salle de téléphone. J’y suis restée presque une minute à les attendre. Je les entendais, de plus en plus nombreux. Je suis ressortie en leur disant «  Vous attendez les casqués ? Y’a pas besoin… ». Ils étaient plus de 20. La chef de détention, Sylvie, a traversé leur groupe et a franchi la grille en leur disant de rester derrière. Elle est venue seule vers moi et m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu en une phrase et l’ai tout de suite suivie pour qu’elle me mette en cellule. […]

Mercredi 21, 7h : Bon c’est l’équipe de jour qui va prendre le relais. Cette nuit, ils n’ont rien voulu comprendre. À minuit et ½, ils ont tapé sur la porte au point de réveiller la voisine. Trois fois, ils sont venus à au moins 5 pour me foutre la lampe torche dans les yeux. Mais ce n’est pas allé à l’affrontement.
Bah, du coup, j’ai bien eu le temps d’observer les rats (très nombreux) qui baladent sous la fenêtre, tant la nuit que le jour. 100 % des fenêtres de la MAF sont fermées par un grillage, soit disant pour qu’on ne les nourrisse pas, mais ça ne change rien. Moi, en tant que rurale, ça ne me gène pas du tout, au contraire : je vois du vivant sans uniforme ! J’aimerais bien essayer d’en apprivoiser un…

Je raconterai ça plus tard…
À la prochaine
Christine u’il n’avait rien pu lui donner car elle était trop énervée. Comme je n’ai pas de raisons de le croire, j’ai crié pour appeler K. Mathieu m’a dit « vous parlerez mieux à la porte ». Je savais que c’était pour me faire rentrer mais j’ai accepté car j’espérais qu’elle serait d’accord pour m’écouter. Ils m’ont même ouvert la porte et j’ai tenté de lui parler à travers la grille. Mais elle était super énervée, criant et tapant la fenêtre, inaccessible à la moindre discussion, murée dans sa colère et sa douleur. Quand je lui ai dit qu’il fallait qu’elle pense aux bébés dans le bâtiment, elle a gueulé «  le mien de bébé, il est au cimetière ! ». Je ne pouvais rien faire, j’en étais dégoûtée et j’ai accepté de rentrer dans ma cellule. Je savais qu’elle cherchait à aller en HP et ça me rendait très triste de la voir se détruire.

A 18h30, ils sont venus équipés pour la menotter et bien qu’ils en aient trop fait, elle n’a pas réagi violemment. En fait, elle était contente d’être calmée de force et d’aller à l’hosto. Mathieu m’a confirmé que j’aurai le tél le lendemain avec ma famille. Vers 23h, ils l’ont ramenée et j’étais contente qu’elle ne soit pas en Hospitalisation d’Office. Mais ces salauds l’ont remise dans sa cellule pleine d’eau sale, sans couverture ni tabac. Je les ai suppliés de la mettre en cellule propre ou de me laisser passer la raclette mais rien à faire. C’est vrai qu’elle était assez calme à cause de la piqûre mais de m’entendre m’énerver l’a remontée. Et c’est reparti pour 1h de tapage au milieu de la nuit pour réveiller tout le bâtiment. Ce salaud de chef qui avait refusé de l’accueillir proprement est venu voir : il s’est fait envoyer paître. Puis, entre minuit et 1 heure, la fatigue l’a gagnée (et la piqûre) et elle s’est calmée. Moi j’ai peu dormi entre colère et tristesse.

Le lendemain, jeudi donc, j’ai expliqué dès 8h aux surveillantes qu’on ne pouvait pas la laisser comme ça, qu’il fallait au moins lui apporter un café chaud et que je lui passais du tabac. Elles ont compris, mais se sont réfugiées derrière le sempiternel « on ne peut rien faire sans l’ordre du chef… qui n’arrive qu’à 9h ». Alors, je leur ai mis 9h comme ultimatum. Mais à 9h, rien. Comme c’était plus calme depuis 5h du mat’ je lisais un récit d’un espagnol des années 80-90 qui racontait les revendications soutenues par des séquestrations de matons et les FIES [1] qui avaient suivi. Alors, j’ai dit à l’interphone : «  vous vous en foutez hein quand on vous parle calmement . Eh ben venez avec vos boucliers pour la promenade, parce que il y a de la prise d’otage dans l’air ! ». Bien sûr, je n’avais aucun moyen de prendre qui que ce soit en otage : ils sont toujours plus nombreux que moi et je n’ai pas d’armes. Mais s’ils venaient équipés, ils n’auraient pas d’excuse de ne pas sortir K. le temps de nettoyer sa cellule. J’ai renouvelé la menace à 10h quand j’ai demandé quand était ma promenade à l’interphone et que la matonne a dit « ça sert à rien de crier » ; j’ai crié « non, ça sert à rien de crier, mais ça sert à rien non plus de parler, y’a qu’avec une prise d’otage que vous nous écouterez ! ».
A 10h30, ils sont venus à quatre, dont Wattel et la matonne avec qui j’avais discuté calmement à 8h, Mme Robert, et le toubib. K. l’a envoyé chier. Moi dans la cellule ouverte comme je lui ai appris, je l’ai engueulé de sa complicité face à la maltraitance que subissait K.. Il en a vite eu marre et est ressorti. Je l’ai suivi dans le couloir où étaient les bleus pour continuer à lui dire qu’on chopait des mycoses les pieds dans l’eau et qu’elle n’avait rien mangé depuis 24h. Quand il s’est approché de la porte pour sortir du QD, j’ai crié en faisant un pas en avant (j’étais au seuil de ma porte) «  Eh toi, tu restes là ! J’ai dit que je faisais une prise d’otage ! ». La menace était ridicule et je n’avais touché personne, mais les 4 se sont rués sur moi et j’ai été coincée contre le mur. Je leur ai dit « calme, calme, je ne bouge pas » et la pression physique s’est relâchée mais ils avaient déclenché l’alarme. Quand la cavalerie est arrivée, je bloquais la grille assez facilement et ils étaient 4 à pousser et à se pousser dans le sas. Mme Robert était en première ligne car elle voulait calmer le truc. J’avais déjà accepté l’idée de ne pas aller en promenade, mais je voulais la promesse de Wattel que j’aurais le tél à 11h. La matonne était compressée par ses collègues et ça se voyait qu’elle avait mal. Quand Wattel a promis, j’ai retiré le pied et suis rentrée.
[…] Toute l’après-midi, j’ai appelé à l’interphone, toutes les demi-heure pour leur dire de venir avec le toubib, à chaque fois sans crier. J’ai crié pour dire aux filles du bâtiment ce qui se passait ici mais aucune n’a réagi.
Vers 15h15, ils ont enfin emmené K. à l’UCSA, sur un fauteuil roulant, menottée devant. Elle est revenue ¼ d’heure après, avec une ordonnance de radio, sans plus. Ils n’avaient toujours rien déposé dans sa cellule.
A 16h30, l’heure habituelle de ma promenade de l’après-midi, ils ne sont pas venus. J’étais super en colère mais n’ai rien fait. Dans l’après-midi, je les avais entendu bouger mes cartons dans la cellule à côté et j’avais pensé au transfert mais vu l’heure qui avançait, je me suis dit que je me faisais des films.
Vers 17h, les casqués sont arrivés, […] J’ai demandé si j’allais en garde à vue, si je devais prendre tabac et documents et il m’a dit que ça suivrait. C’est là que j’ai compris qu’on allait à la MA de Lille – Sequedin. Ils m’ont menottée dans le dos et je me suis laissée faire. J’ai quand même gueulé un « au revoir, les filles, je change d’air »
[…] Dans l’équipe du transfert, il y avait B······ [2] qui se régalait de me voir entravée, menottée dans le dos et en cellule. Il a continué à faire les gros bras devant ses collègues d’ici. À Bapaume, comme ailleurs, j’avais refusé la photo et la prise d’empreintes et c’était passé. Là, B······ m’a prise par la gorge et les cheveux contre le mur et je n’ai pu que fermer les yeux et ouvrir la gueule. Idem pour l’empreinte à force de torsion du poignet mais je ne crois pas qu’elle sera utilisable (« On n’aura pas mieux » ai-je entendu). Alors que j’avais accepté la fouille à nue à Bapaume, ils m’en ont fait une autre ici. Comme ils étaient nombreux et que des mecs, ils m’ont dit : «  Tu te mets face au mur et tu ne te retourne pas. C’est bien compris ? Tu te désapes sans te retourner. C’est clair ? » J’ai obtempéré pour éviter la palpation mais j’ai obtenu mon tee-shirt avant de retirer le pantalon et n’ai pas tendu mes sandales qu’ils ont du ramasser eux-même. Puis traversée de la MA « libre » entre six matons d’ici, après avoir donné RDV à B······ le 19 septembre à Arras (en discutant avec ces potes d’ici, il a dit «  Maintenant j’habite à 1km du taff »). […]


SEQUEDIN,
mardi 30 juillet

[…]Ce matin, vers 10h30, une autre toubib est venue. Comme son collègue, elle a refusée une consultation honnête. […] C’est la chef de détention (Sylvie ? Sophie ?) qui m’a ouvert pour la promenade à 14h30. […] Je lui ai redit, très calmement, que je ne rentrerai que lors de la visite médicale. J’avais un peu d’espoir car elle avait géré un conflit qui aurait pu dégénérer le dimanche, alors qu’une brigarde refusait que j’amène un livre en promenade (alors que c’était passé avec elle le vendredi et le samedi). J’avais dû bloquer la grille, heureusement sans blessé. Mais là, quand elle est revenue à 15h30 pour la fin de la promenade, elle avait déjà fait équiper 4 gars avec casques et boucliers. Ça a été l’assaut le plus violent de mon histoire pénitentiaire. Ils m’ont délibérément envoyée plusieurs coups de poings au visage pendant le menottage. Puis, ils m’ont cogné la tête dans chaque angle de murs sur le trajet du mitard. À Joux, l’arcade s’était ouverte et les avait immédiatement calmés. Mais là, elle a tenue. Ils m’ont dé-menottée sous le lit, en tordant doigts et poignets, comme d’habitude. […]
La douleur est presque passée, j’ai juste une gène au doigt tordu. Je sens une bosse au front, mais ne peux pas savoir si c’est devenu bleu.
Demain matin, c’est le jour de la douche. J’irai et bloquerai encore au retour s’il n’y a pas le toubib. Je n’ai maintenant plus d’espoir de respect, mais celui que la résine coule : ça les calme très vite et les fait appeler l’UCSA ou le 15.

SEQUEDIN,
samedi 3 août

Jusqu’ici, quand je m’affrontais à l’AP, je risquais des coups et du mitard, mais je pouvais m’appuyer sur la loi pour me garantir une certaine sécurité mentale. Là, il n’y a plus de garde-fous et ça me fait peur. C’est en partie de ma faute car j’ai entamé une grève de la faim, alors que je m’étais toujours opposée idéologiquement à ce mode d’action dangereux.
[…] Le mercredi matin, c’était le jour de douche et de retour de WE du chef de bâtiment. Il m’a demandé ce qu’il s’était passé et m’a dit de me préparer pour la douche et la promenade. Je lui ai répondu que j’étais tout à fait d’accord, mais que comme la veille, je ne rentrerai volontairement qu’après une visite médicale. Il est reparti puis est revenu avec un chef ++ (chemise bleue claire). Lui m’a dit que pour aller à la douche, je devais subir la fouille par palpation. J’en ai rigolé tant c’était ridicule : la douche est au QD et je ne croise aucune fille. En plus, si je ne m’abuse, la loi interdit les fouilles systématiques non justifiées. J’avais, par apaisement, accepté le passage à la « poêle » électronique au retour de promenade jusqu’à la veille (négociée par une fouille à nue à la 1ère promenade, le vendredi). Il a gueulé «  palpation ou rien ! » et est parti en disant que je n’aurais rien ce matin là. J’essaye d’avoir quelqu’un à l’interphone à partir de 11h pour la promenade, mais rien. Quand le chef de bâtiment m’apporte la gamelle, il me dit que je verrai le médecin vers 15h. Effectivement, il est là à 14h30. Mais il me dit «  Je vais vous examiner dans une salle spécifique, mais des surveillants resteront avec nous ». Je lui réponds très poliment que c’est impossible, que ce sont eux qui m’ont agressée, qu’il doit me faire confiance, que je ne l’agresserai pas et qu’il a dit le serment d’Hippocrate. Il discute 5min, puis part (« Je vous laisse réfléchir »). Je l’appelle, en pleurs, mais il ne revient pas. Plusieurs fois dans l’après-midi, je demande à la surveillante à l’interphone de m’écouter, de trouver une solution. Ça fait 36h que je suis dansa  cage, presque nue car les vêtements ont été mouillés et salis lors de la contention. Malgré la loi, ils me privent de douche, de promenade et visite médicale. Quand le chef amène la gamelle à 18h30, je suis au 36ème dessous, dégoûtée par le mépris. Il fait semblant de discuter mais c’est juste pour que je lui remette le lacet qu’ils m’ont laissé la veille avec une chaussure et ma boîte d’allumettes. Je me calme grâce au courrier des copains, reçu de l’alpage et remets mon projet de feu (j’avais planqué des allumettes et un grattoir dès le 1er soir). […]
Le jeudi matin, à 7h, […] je retente de demander calmement un médiateur (la chef de détention par ex), mais on me dit juste que la chef viendra plus tard (pour le repas donc). Ça fait 3 jours que je parle très calme (sauf la crise de pleurs mercredi soir, mais où je n’ai insulté personne), que j’essaye de trouver des solutions, et ils me font tricarde. Je n’ai plus le choix : malgré les conseils des copains, je dois me faire blesser pour avoir enfin un toubib et lui expliquer. Je fous donc le feu aux barquettes en plastiques de quatre repas précédents, sans que ça ne représente un danger pour mes codétenues et leurs bébés. Bien sûr, ils arrivent équipés pour me foutre dans le mitard d’à côté. Malgré les coups de poings (ça doit être le protocole ici !), l’arcade tiens bon : et merde ! Mes vêtements sont mouillés par l’extincteur et la cellule complètement vide sauf le matelas. Je demande mes affaires à l’interphone qu’ils raccrochent immédiatement. À midi et ½, c’est la chef de détention, que j’accueille nue. Elle n’a aucune affaire pour moi. Je sais qu’il peuvent me faire tricarde comme ça jusqu’au 17 août, la date de fin de sanction décidée à Bapaume. Pour accélérer, il faut donc se mettre en grève de la faim. J’y ajoute une grève de la parole puisque, quoi que je dise, quel que soit le ton, je ne suis pas entendue. […] Le toubib et une responsable SMPR [3] sont venus me voir vers 17h, alors que je ne les espérais plus. Comme le chef le matin, ils m’expliquent qu’ils n’y peuvent rien, que c’est l’AP qui décide. Je leur réponds par petits papiers que c’est des menteurs puis mets fin à ce faux entretien à travers la grille. C’est toujours le même chef à 18h30, qui se pointe pour que je refuse la gamelle, il aimerait que je lui parle mais me refuse mon tabac. Par contre, j’ai enfin le reste de mon paquetage resté au mitard à Bapaume.
[…] Je sais que je ne verrai rien ni personne cet après-midi. Et que ça sera pareil demain. Sauf que ça fera 3 jours que je refuse la gamelle et qu’ils devront prévenir la DI [Direction Inter-régionale de l’AP].
La revendication posée pour l’arrêt de la grève (de la parole et de la faim) c’est que je puisse discuter, dans l’ordre où ils veulent avec :
mon avocate par téléphone
un médecin dans des conditions de consultation
un représentant de la direction, quel-qu’il soit et même à travers la grille
Je sais par une amie  qu’une grève de la faim peut durer 2 semaines avant qu’on soit abîmée et je tiendrai.
À moins qu’ils me collent au QI comme à Joux, il faudra qu’ils lâchent le 17 août quand je serai de retour en bâtiment et en promenade collective. Ça va être long… !
Salut ! Y Viva la Lucha !


SEQUEDIN,
samedi 10 août

Ma situation s’est débloquée jeudi vers 16h. Immédiatement, j’ai mangé le plat de lentilles mis de côté (j’avais de l’espoir) à la gamelle de midi. J’avais repris à parler depuis mardi 14h, aux premiers prémices.
Voilà ce qui s’est passé :
[…] Mardi,5ème jour de la grève, même si le chef du jour (le chef de bâtiment) est un peu moins con que la brigade du WE, je n’ai ni promenade ni téléphone. Mais il me passe mon guide de l’OIP et j’ai la référence des textes qui interdisent la fouille systématique et je lui fais passer.
À 17h30, je vois le big boss (il paraît que c’est exceptionnel qu’il voie un taulard) et la chef de détention des premiers jours, Sylvie. Il me dit que je verrai dorénavant les médecins correctement (s’ils le demandent) et que, puisqu’on n’est pas d’accord sur l’interprétation de la loi et que je ne dispose que d’un livre «  fait par des crétins qui n’y connaissent rien », il va me faire passer demain les textes en question. En signe d’apaisement, Sylvie me file deux clopes à elle et me les regarde fumer en discutant calmement. Elle m’en laisse aussi une pour le lendemain matin. Moi, je lui donne deux allumettes coincées dans la poche depuis jeudi (elles ne me servent à rien, je n’ai pas de grattoir). J’ai aussi des livres de la biblio demandés depuis lundi matin.
À 17h, le mercredi, c’est le chef de bâtiment. Il m’allume bloqué sur sa putain de palpation. Toute la matinée, j’attends les papiers promis par le dirlo en trépignant. À 10h, la même toubib pétocharde qu’hier vient, mais n’ouvre pas la grille car elle n’aurait pas encore reçu la consigne . À 11h30, il amènent au mitard une fille en lui faisant mal, elle est dans le même état que K. et on ne peut pas discuter. À midi la toubib revient et ouvre la grille. Cette pétocharde s’est faite accompagner par un infirmier SMPR bien costaud, mais le rendez-vous est correctement fait. « Mais on ne vous connaît pas… », « Ben justement ! ». Je les envoie chez la voisine qui hurle qu’elle a mal.
[…]À 16h, le directeur vient enfin avec les papiers. Je lui demande de revenir dans une heure quand je les aurai étudiés. Il me dit qu’il est dans les clous puisque les fouilles à chaque sortie de cellule des 900 personnes enfermées ici sont justifiées par le risque de trafic J’aurais aimé manger ce soir, mais je veux pouvoir étudier les textes sans le laisser mentir. Il dit qu’il reviendra demain (il paraît que c’est encore plus exceptionnel 3RDV comme ça en 3 jours , je suis VIP !), je lui demande de venir le matin (pour manger à midi), mais il reste le Big Boss et me dit « je viendrai quand j’aurai le temps ».
Jeudi, […] le dirlo arrive à 15h30. J’avais préparé mon exposé, comme une bonne élève. La seule chose que je sens qui fait mouche c’est quand je fais, sur le ton de la confidence psy, le parallèle entre palpation et viol, puis viol et autorité et que j’explique en quoi la fouille à nue (sans contact et où les deux parties sont mal à l’aise) est moins humiliante. Il se retire avec Sylvie et reviennent 5 min plus tard me dire que je peux aller au tel. Je n’ai aucune fouille, il n’y a que la chef de détention et le chef de bâtiment de visibles. J’appelle non seulement mon avocate, en lui demandant une visite, mais aussi mes parents pour les rassurer. Puis je vais en promenade. Assise torse nu au soleil, je savoure la barquette de lentilles ! Ils m’ont aussi donné des allumettes, avec le protocole que je leur ai expliqué (une boîte avec un chiffre donné, puis comptage au retour des brûlées et des soufrées).De retour en cellule, j’ai la barquette. Ça y est, c’est calmé !
À la gamelle, le chef me demande si je suis contente. Je lui explique que je n’ai pas à être contente d’en avoir tant chié pour que la justice règne enfin. Il me dit que j’ai eu raison de parler du tripotage et de ce que j’en ressentais, je lui réponds que c’est un discours de voyeur malsain. Il ne comprend pas pourquoi on n’est pas potes… Moi je mange la moitié de la gamelle et m’endors le ventre plein dès 19h30. Ouf !
[…] L’essentiel pour moi est gagné : visite du médecin en vis à vis et pas de tripotage . […] J’ai appris aujourd’hui que le dirlo avait pondu une note à mon sujet disant :
pas d’ouverture de la porte (je dis bien la porte pas la grille !) sans un(e) brigard(e)
fouille électronique sans contact, mais face au mur
effectif renforcé lors des promenades : au moins 1 brigard et 6 en tout
une seule promenade par jour
contrôle œilleton toutes les heures en journée et quatre fois par nuit
Je ne sais pas comment ils comptent revenir à la normale en une semaine… Soit ils y arrivent et tant mieux, j’irai en bâtiment. Soit ils vont me coller au QI sans raison ces salopards…


SEQUEDIN,
mardi 20 août

Je suis sortie du mitard ce WE. Pas originaux, ils m’ont collé direct au QI, comme à Joux.
Ils ont justifié ça par le dossier disciplinaire, ce QI n’est pas valable. En vrai, ils ne veulent pas que j’aille en bâtiment où les filles (et les mecs aussi d’ailleurs) se font tripoter avant chaque promenade. Ils savent que je refuserai la palpation et n’ont pas envie de me cogner dessus à 10 contre un devant les filles qui pourraient être choquées et du coup (oh horreur !) solidaires.
[…] Hier, lundi, [ma voisine de QD] passait au prétoire. Moi j’étais dans la salle où il y a le téléphone, à une dizaine de mètres. J’ai entendu qu’ils la rentraient de force, elle criait qu’elle avait mal. Forte de l’expérience passée et de la promesse du psy, elle pensait que ça s’arrêterait là, mais ils lui ont mis 30 jours ! Devant leur violence (4 matonnes étaient arrivées en courant au QD en plus), j’ai cogné sur la porte de la salle. Bizarrement, en quatre coups de pied, j’ai fait péter la serrure et me suis retrouvée dans le couloir qui donne d’un côté sur le QD de l’autre sur le QI et de l’autre sur la rotonde et l’accès à la grande promenade. Je suis allée vers le QD, il y avait 6 matonnes derrière la porte, dont la directrice. Une brigarde moins conne que la moyenne m’a dit : « Je t’assure qu’on ne l’a pas cognée, je ne l’ai même pas menottée. Là, le psychiatre va venir. Mais toi, on a jamais vu ça et l’alarme a été déclenchée. Regarde les gars arrivent. Couche-toi au sol c’est le mieux ». J’ai plutôt confiance en elle et je l’ai crue. Je me suis retournée vers l’autre bout du couloir. À 20m, derrière la grille, il y avait 5 mecs. Je leur ai crié : « Qu’est ce que vous voulez ? ». Il m’ont dit « Rentre dans la pièce » et je suis retournée calmement dans la salle de téléphone. J’y suis restée presque une minute à les attendre. Je les entendais, de plus en plus nombreux. Je suis ressortie en leur disant «  Vous attendez les casqués ? Y’a pas besoin… ». Ils étaient plus de 20. La chef de détention, Sylvie, a traversé leur groupe et a franchi la grille en leur disant de rester derrière. Elle est venue seule vers moi et m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu en une phrase et l’ai tout de suite suivie pour qu’elle me mette en cellule. […]

Mercredi 21, 7h : Bon c’est l’équipe de jour qui va prendre le relais. Cette nuit, ils n’ont rien voulu comprendre. À minuit et ½, ils ont tapé sur la porte au point de réveiller la voisine. Trois fois, ils sont venus à au moins 5 pour me foutre la lampe torche dans les yeux. Mais ce n’est pas allé à l’affrontement.
Bah, du coup, j’ai bien eu le temps d’observer les rats (très nombreux) qui baladent sous la fenêtre, tant la nuit que le jour. 100 % des fenêtres de la MAF sont fermées par un grillage, soit disant pour qu’on ne les nourrisse pas, mais ça ne change rien. Moi, en tant que rurale, ça ne me gène pas du tout, au contraire : je vois du vivant sans uniforme ! J’aimerais bien essayer d’en apprivoiser un…

Je raconterai ça plus tard…
À la prochaine
Christine

Extraits de lettres ( janvier/avril 2013)

Depuis son incarcération, Christine a eu de multiples embrouilles en détention. Elle a été placée au mitard (QD ou Quartier Disciplinaire) et au QI (Quartier d’isolement). Elle a été transférée de La Talaudière à Corbas (Lyon) puis à Joux-La-Ville. Aux dernières nouvelles, elle est maintenant à Bapaume, vers Lille (ses proches sont dans le sud !). L’accumulation d’altercations en détention risque d’alourdir sa peine, voire de la mener à nouveau devant les tribunaux.

Dans différentes lettres qu’elle a pu faire sortir de prison, elle raconte ses combats en détention et la répression féroce. Elle souhaite que ces lettres  soient diffusées auprès des groupes qui se préoccupent de ce qui se passe en prison, et publiquement.En voici de larges extraits.

• Jeudi 31 janvier, Corbas, QD

Ne reculant devant aucun défi pour vous fournir des infos fraîches et diverses, votre envoyée spéciale au pénitencier est maintenant au mitard à Corbas.
Je suis passée au prétoire (à la Talaudière) et j’ai pris quinze jours (de mitard) ferme et 8 jours avec sursis. Je ne croyais pas que six mois allaient s’écouler sans que ça me tombe dessus, même si l’idée était séduisante. J’ai donc appris que je serai transférée ce lundi 28 (il n’y a pas de mitard au quartier femmes de la Talaud).
Entre le prétoire et ce transfert, j’ai vu un OPJ au parloir pour m’auditionner sur « l’incendie du 28 novembre ». Il m’a dit que selon lui ce serait classé sans suite, mais on sait ce que ça vaut une parole de flic.
J’ai aussi eu un signalement au procureur le 19 décembre, suite à une prétendue bagarre avec une codétenue en promenade. Ça me fait beaucoup plus chier car c’est faux : on n’a pas échangé un seul coup et si, moi, j’ai été blessée, c’est par les gros bras en bleu qui m’ont sortie manu militari de la cour. J’ai donc fait un recours à la DI à propos de ce rapport pour que les infos contenues dans le dossier disciplinaire soient honnêtes si je vais un jour en procès pour ça.
Dimanche 27 janvier, à la promenade, je me suis à nouveau engueulée avec la même fille. Cette fois on a échangé des coups (J’en ai pris plus car elles étaient à 2 contre moi). Bien sûr c’est moi que les bleus ont remonté en cellule, menottée dans le dos. Après m’être calmée, j’ai demandé à téléphoner, comme j’y ai droit. En fait, la surveillante ne voulait pas m’ouvrir sans un surnombre de matons comme ils me le font souvent, malgré l’accord avec la direction le 15 novembre. (…) L’auxi peut témoigner que j’étais calme. Mais les matons m’ont foutue au sol le temps de mettre en cellule le repas dans une barquette en plastique. J’ai dit : « je veux juste téléphoner, j’y ai droit, de quoi avez-vous peur ? Je ne me débats même pas ». Mais ils m’ont refoutue en cellule et je n’ai pas pu bloquer la porte. J’étais furax et j’ai glissé du papier journal sous la porte pour l’enflammer, comme je l’ai souvent pratiqué. (…) Ils ont ouvert la porte, l’un d’eux avait un extincteur. Il ne s’est pas contenté d’asperger la porte mais m’a délibérément aspergée. J’étais en train de respirer à la fenêtre. Je suis allée vers eux en gueulant : « Tu t’amuses bien ? » Ils ont essayé de la refermer mais je l’ai bloquée avec le genou. Ils se sont alors énervé et m’ont foutu au sol, dans la neige carbonique. Ils m’ont menottée dans le dos en me faisant vraiment mal à l’épaule et en serrant très fort. Depuis leurs cellules des filles criaient : « Salauds ! Lâchez-la ! On t’a entendu dire que tu allais lui casser le bras ! » Il m’a demandé de dire aux filles de se calmer mais j’ai refusé, demandant juste à ce qu’il lâche l’épaule. Je suis restée au sol sous ce mec le temps qu’ils vident entièrement la cellule (fringues, bouquins, poubelle, table…) puis ils m’y ont refoutue en le laissant un doliprane sur l’évier. Elle était trempée et noire de papiers brûlés, moi j’étais trempée et mal en point.
(…)
À 7h du matin, (quand ils ont ouvert), je suis allée vers la cabine. Mais ils m’ont dit que je téléphonerai après la douche. J’ai accepté car j’en avais vraiment besoin. Quand je suis (retournée dans la cellule), ils en ont profité pour claquer la porte. (…) J’ai gueulé « Vous aviez dit que je téléphonerai après ! » et ils ont répondu « Ben ouais, après, tu téléphoneras après… Allez, bon QD ! » ET un de ces s… rigolait en disant : « Ben quoi, tu chiales Ribailly ? », alors que je répétais, à bout de nerfs : « T’avais dit ! ». (Puis Christine a été transférée vers Corbas.)
Entre 7 et 9h, toutes les filles qui sont passées ont vu mon bordel dans le couloir et la crasse sous la porte. Beaucoup ont été choquées et m’ont gueulé quelques mots de solidarité. J’ai aussi eu un yoyo de mon propre tabac qu’elles ont pris dans ma veste, sur le tas. (…) Hier j’ai vu le toubib dans le cadre de l’accueil arrivante au mitard. Elle m’a fait un certificat médical avec 3 jours d’ITT. J’aimerais déposer plainte pour abus de pouvoir et violences. Pensez-vous que c’est possible ? Voulez-vous m’y aider ?
Bon, après ça j’étais remontée à bloc pour faire face au mitard. Ils ont du le comprendre car ils ont eu une toute autre position qu’il y a deux ans. Au greffe, ils se sont contenté d’un « Non ! » quand ils m’ont demandé la biométrie. J’ai pu avoir mon tabac à la porte de la cellule. J’ai vite eu des bouquins et de quoi écrire. Grâce à la réforme, j’ai même une petite radio. (…) Du coup, libérée de la peur qu’ils me psychiatrisent, je vis bien mieux le mitard que je ne le craignais. (…) J’écris beaucoup (vous voyez), je fais des séries de pompes et abdos. Je dors bien. (…)
Qu’est-ce que vous ne savez pas sur le QD de la MAF (Maison d’arrêt pour femmes) ? Il y a trois cellules, 2 cours goudronnées de 6×8m cernées de murs ou grilles de 3 ou 4 mètres de haut, et au plafond tellement tapissée de barreaux, grillage serré et rouleaux de barbelés que j’imagine que la neige ne passe pas (En tous cas le soleil, c’est sûr, n’atteint jamais le sol). (…)

• Mardi 5 février, Corbas, QD

(…) On m’a fait signer mon transfert prochain pour Roanne. Perso, je sais que, CD ou pas, ça ne changera rien pour moi car je serai en secteur fermé. J’espère aussi que la peine que je vais récupérer mercredi prochain ne sera pas de plus de un an. Ainsi, la confusion de peine aurait des chances d’aboutir et je resterai peut-être à la Talaud, où je suis arrivée, tant bien que mal, à établir un mode de relation assez sain avec la matonnerie. Tout ce que je vous raconte est fait pour être diffusé.
Comme je vous fais des lettres détaillées pour chaque histoire, j’ai dit aux potes de Radio Canut (Lyon), La Haine des chaînes (Marseille), Les murs ont des oreilles (Grenoble) ou Radio Méga (Valence) et Papillon (Saint-Étienne). Je pense aussi à Rebellyon et Jura Libertaire. Faites-vous un pool commun des infos, analyses, récits et autres et rediffusez chacun sur vos réseaux, c’est fait pour ça !
Dans ma lettre où je racontais l’altercation du 27 et 28 janvier à La Talaudière, j’avais joint le mot d’une co-détenue qui se disait outrée du traitement qu’on me faisait subir et prête à bouger pour que ça change (elle parlait d’alerter les médias). J’ai deux autres lettres de filles qui m’ont écrit ici et qui disent à peu près pareil. (…)
Ici j’ai découvert une cellule encore plus flippante que le mitard. Voilà ce qui s’est passé. Avec le lieutenant, toute la semaine, ça s’était pas mal passé, malgré le sureffectif constant (me surveillant). On ne fait pas semblant d’être potes, mais il fait ce à quoi il s’est engagé et a compris que son intérêt était le même que le mien : que j’obtienne des réponses à mes mots dans un délai correct. Il a même institué sans que je lui demande la douche quotidienne, deux promenades par jour et plusieurs appels téléphoniques par semaine. Bref, j’avais pris mon rythme. Mais l’équipe de ce week-end a voulu changer la donne. (…) Dimanche, ça a été encore plus tendu : ils m’ont mis à la promenade dès 8 heures du matin, alors qu’il faisait presque encore nuit. Puis ils m’ont refusé la douche alors qu’ils me l’avaient proposé le matin. À midi, ils n’ont pas ouvert la grille pour me passer la gamelle. Alors le soir, quand j’ai vu qu’ils n’ouvriraient pas plus, je leur ai dit : « Si, vous allez ouvrir ! » et j’ai enflammé une feuille de papier journal. Ils ont refermé la porte en laissant la gamelle dans le sas, hors accès. (…) Puis est venu un lieutenant pour calmer le jeu. Je lui ai expliqué que je refusais d’être servie comme un clebs au chenil et que je lui donnerai le briquet en échange du repas quand il aurait ouvert la grille. (…) Il m’a dit que je grillais mes chances d’avoir le parloir interne que je réclamais, alors que la direction avait émis un avis favorable. Je me doutais bien qu’il mentait, mais je ne voulais pas prendre de risque, alors je lui ai donné le briquet. Il est parti aussitôt, sans ouvrir le sas, et sans même me donner la gamelle. Dix minutes après, ils étaient 6, avec casques et boucliers, pour me menotter. Cassée en deux, ils m’ont menée à travers toute la MA. Je n’ai pas bien compris où on allait mais on a repris le souterrain. Ils m’ont accroupie au fond d’une cellule pour me démenotter après m’avoir pris lunettes et baskets. J’ai demandé où on était et ils m’ont dit « aux arrivants ». Mais la cellule n’avait rien d’une cellule d’arrivants. Je sentais la patte de l’architecte pervers de la chambre de l’UHSA. Lit, table, tabouret, tout était en béton. La télé était protégée par un plexiglass, tout comme la fenêtre, impossible d’accès. Il n’y avait pas de draps, juste deux couvertures en tissus. Même la télécommande était incrustée dans le mur (et ne marchait pas). Une grande surface était prise par la douche et le chiotte. L’évier en alu comme au mitard, sauf qu’il n’y avait pas de robinet, juste un jet d’eau pour boire. Tout était super propre, lisse. J’ai vu un petit sac sur la table : il y avait une affichette. « Vous êtes en souffrance. Il est nécessaire de vous aider. Ce kit fait partie du protocole d’aide. Le pyjama est aéré pour un plus grand confort. En cas de détresse, faites appel au surveillant, votre premier interlocuteur ». Et un pyjama bleu, comme en HP. J’ai eu peur, j’ai pensé qu’ils m’avaient hospitalisée au SMPR, que j’étais en HO (hospitalisation d’office) sans avoir vu de toubib. J’ai appelé mais personne n’a répondu. Une demi heure plus tard, comme j’avais bouché le judas avec l’affichette, ils ont cogné à la porte, joué avec la lumière et appelé à l’interphone. J’ai décidé de ne pas répondre, comme eux. (…) Ils ne voulaient pas rentrer, juste mater. (…)
À 9h le lendemain, j’avais faim et envie de fumer. J’ai fureté dans la cellule pour faire quelque chose. On ne pouvait rien casser, pas appeler. La fenêtre donnait sur une cour intérieure, un toit en fait, où jamais un humain n’est allé. Tout était arrondi, lisse, aseptisé, c’était franchement flippant. Au plafond il y avait une demi-sphère en alu poli pour faire miroir depuis le judas et ne laisser aucun espace sans vue (même collé à la porte). C’était vraiment de l’incitation au suicide, par sa volonté affichée de le rendre impossible. La frustration, même pour moi qui ne veux pas crever, était à son comble. (…) Enfin vers 11h, j’ai entendu une surveillante me dire que j’allais voir un médecin. J’ai pris une grande inspiration et accepté. Ils étaient au moins douze dans le couloir ! L’entretien a été assez court quand elles ont compris que j’étais en colère et pas suicidaire. Elles m’ont dit le sigle de la cellule, mais je ne m’en souviens plus, il y avait un P comme « protection » et elle est effectivement au quartier arrivant. (Puis Christine a été ramenée à la MAF.)
J’imagine le pauvre gars, tout juste sorti de garde à vue et enfermé dans cette cellule d’incitation au suicide lors de sa première arrivée à la rate. La façon la plus ignoble de lutter contre la surpopulation ! Elles sont belles, les règles européennes. (…)

• Dimanche 10 février, QD de Corbas

Demain je dois retourner à la Talaud. (…)
Excédée par le refus de parloir interne (avec son compagnon, incarcéré aussi à Corbas), j’ai essayé encore de revendiquer vendredi.
Sanction immédiate : plus de lumière et plus d’allume-cigare (bien sûr, pas de briquet en cellule). (…) Je vous joins la lettre que j’ai écrite à la direction :

Quand on se targue d’apprendre aux autres à respecter la loi, il faut d’abord, par cohérence, à défaut d’honnêteté, la respecter soi-même. Or :
J’ai été quinze jours au QD, trois lundis, et vous ne m’avez permis qu’un seul parloir.
J’ai signalé dès l’arrivée au médecin que j’avais une ordonnance pour de la kiné hebdomadaire et il n’y a eu aucun suivi.
Je n’ai pas pu m’alimenter du dimanche 3 à midi au lundi 4 à midi (deux repas refusés).
Malgré sa demande du 30 janvier, mon avocat n’a pas obtenu son permis de communiquer.
J’ai été jugée en mon absence le 5 à Aix en Provence, sans que soit organisée d’extraction ou de visioconférence.
Je n’ai pu ni lire ni écrire ni fumer du vendredi 8 à midi au samedi 9 à 8h.
L’évier de la cellule du QD est bouché.
La télévision de la cellule d’incitation au suicide ne marche pas. Le flotteur des toilettes est coincé.
La première semaine, je n’ai vu qu’une fois le médecin.
Vous avez laissé nombre de mes courriers sans réponse et les gradés ont parfois refusé de répondre à mes questions.
La cage de promenade est cernée de murs si hauts et fermée par un grillage si serré que ni la neige ni le soleil ne l’atteignent. Où est l’heure de promenade obligatoire « à l’air libre » ?
Le courrier interne m’a toujours été remis en retard, ou pas remis du tout.
(…) Je continuerai à exiger le respect des lois (à défaut du respect humain qui vous est inaccessible).

• Dimanche 17 février, Joux, QD

Je continue mon tourisme pénitentiaire. Je suis maintenant en CD, près d’Auxerre.
(…) (À mon arrivée) j’ai accepté la fouille au corps et répondu au topo du chef : « Si vous vous tenez bien, ça se passera bien » par « Si vous me touchez pas, je me tiendrai bien ». Ils n’ont pas insisté pour les empreintes et ont fait une photo tête baissée et yeux fermés pour la carte de circulation. Puis je suis allée au mitard. (…) Il fait super froid en cellule et ma voisine, une jeunette toute maigre, en chie beaucoup. Depuis trois jours on réclame qu’ils viennent prendre la température, mais ils ne font rien. (…) Je me souviens avoir lu qu’un mitard avait été fermé après qu’un huissier ait relevé 14°C. Je suis sûre qu’il ne fait pas plus ici. (…)
Il y a deux mois, deux filles ont pris en otage une surveillante. Après 30 jours de mitard bien agités et une comparution immédiate (18 mois pour l’une, deux ans pour l’autre), elles ont eu le droit à un transfert disciplinaire, mais je ne sais pas où.

• Jeudi 21 février, quartier disciplinaire, Joux

(…) Des nouvelles du « frigo » :
Vendredi, alors que j’étais assez détendue, vu l’accueil moins militarisé qu’à Corbas, j’ai réclamé par écrit au directeur qu’il s’inquiète de la température des cellules. Même s’il m’avait promis, lors de la rencontre arrivant, de répondre à mes mots, je n’ai pas eu de réponse. Samedi après-midi, ma voisine a eu des crampes à force de se crisper contre le froid. Un infirmier de l’UCSA lui a donné un doliprane et lui a promis du Decontractyl (qui n’est pas arrivé). À chaque passage, on relançait la demande de prise de température. [1] Le lendemain vers 17h, elle s’est bloqué les reins. L’alerte a été vite passée par les filles (moi, on ne me répondait plus). Une surveillante l’a vue bloquée sur son lit et a dit qu’elle allait prévenir. Durant une heure, j’ai essayé de la calmer car elle paniquait (« je ne veux pas mourir ! »), s’engourdissant toujours plus. Vers 18h enfin, j’ai entendu qu’on ouvrait la grille. Il n’y avait que des matons et deux chefs. Ils voulaient la forcer à se lever et elle criait qu’elle avait trop mal. J’ai même entendu : « Arrêtez de pleurer ou on va se mettre en rogne ». Quand ils m’ont apporté la gamelle, je les ai engueulé de ne pas avoir appelé de médecin et ils m’ont répondu : « Mêle toi de tes oignons ». Alors j’ai mis le feu aux poubelles. Et j’ai pris un rapport d’incident (…)
Mardi matin, le technicien est enfin venu. Il faisait 15°C près du radiateur (dans le sas) et 13°C dans le coin le plus éloigné. (…) Le médecin qui venait pour la visite hebdomadaire m’a dit que la température d’une salle d’habitation normale était entre 19 et 21°C. On en est loin ! J’ai fait une lettre de plus (la troisième) au directeur. (…) Le prétoire [commission de discipline suite au rapport d’incident] aura lieu le mercredi 27, soit le lendemain de ma sortie de trente jours de mitard, ils pourront donc m’en remettre autant (il suffit de trouver des violences, c’est pas dur).

• Mercredi 27 février, quartier d’isolement, prison de Joux

(…) Vendredi, à 18h, le chef, Dinan, m’a fait passer la gamelle sans ouvrir. Je lui ai rappelé que j’avais fait un mot et que je voulais une réponse. J’ai dit « Il faut que je les appelle, c’est ça ? ». Il m’a dit de ne pas crier, qu’il allait voir lui-même. À 18h30, je met la lumière, une matonne me dit qu’il est monté à la rue. À 18h45 je me met à taper sur la grille, les filles m’engueulent mais je continue. À 19h comme il n’y a rien, je met le feu aux poubelles. Ma voisine de mitard ne tarde pas à appeler à l’interphone, c’est plus de la balance que du soutien, mais ça les fait venir. À 19h15 ils arrivent avec l’extincteur et noient littéralement la cellule, m’aspergeant par la même occasion. Quand ils veulent refermer la grille, je me précipite pour bloquer. Ça les énerve et ils me foutent au sol trempé, bien violemment, la tête sous leurs godasses. Je ne le sens pas tout de suite, mais l’arcade sourcilière a pété. Eux voient le sang et me tirent au sec dans le couloir où ils me maintiennent au sol mais sans faire mal. Après qu’ils m’aient menottée dans le dos et relevée, j’en dénombre pas moins de 25 dans la coursive. Le chef me nettoie la figure avec une serviette propre et déclare : « Ce n’est rien, le médecin va venir. Tu vas pouvoir rencontrer un médiateur aussi. » C’est facile, le pouvoir du sang ! Car ils m’ont déjà fait bien plus mal avec les clés de bras par le passé. (…) L’attente commence. Je parle calmement, sans crier, sans insulte, répétant que j’en suis à la troisième lettre à la direction. Tous me font le discours « si tu te calmes pas dans ton comportement, tu ne sortiras jamais d’ici, penses à tes parents au moins ». Ils sont repartis, certains sont au bureau pour faire le rapport comme quoi j’ai glissé sur le sol mouillé. Ceux qui sont en cellule se détendent petit à petit. Puis arrive une directrice qui me dit de me calmer alors que je suis parfaitement calme, même si je me balance car mes vêtements mouillés me donnent froid. Je lui refais le topo : demande de suspension de peine. Aucune réponse. J’apprends plus tard que c’est la directrice technique, bref, rien d’utile !
Puis arrive le toubib. Enfin, ils acceptent de me dé-menotter et je suis escortée d’une dizaine de matons à l’infirmerie. Il nettoie, met des strips et me donne 1g de Paracetamol. Voilà, au revoir. « Et j’ai mal au genou aussi ». Mais il est parti. (…)

(Christine passe la nuit dans la cellule pleine de flotte et de cendres, sans ses affaires. Le lendemain, la cellule est nettoyée et elle récupère ses affaires.)

En prenant mes chaussures pour la promenade, je récupère papeterie et tabac. Ils promettent les couvertures propres et m’allument une clope dans la cour. Je suis crevée, mais leur dit quand même « Bon, on est revenus au point d’hier soir : couvertures, mitard propre, tabac. Maintenant, je n’ai pas changé de discours, je n’y retournerai pas s’il n’y a pas de chauffage d’appoint. » À la promenade, je marche peu et finis par m’assoupir, assise accroupie. Ils sont 6, me chopent tout de suite, menottes dans le dos, retirées alors que je suis glissée sous le lit. « Et dis-toi bien que ce sera comme ça tous les jours. » J’ai le moral en berne. Ça va un peu mieux après la sieste et une clope à 16h (par la grille, bien sûr).
Dimanche, la réintégration est encore plus violente, avec un clé de bras dont je sens encore les effets aujourd’hui. Ils ne perdent pas de temps avec les menottes et me portent directement sous le lit. J’entends le chef de détention, Bacher, dire « Ne prenons pas de risque avec cette connasse ».
Le lundi, je suis extraite au tribunal de Lyon pour voir une juge d’instruction pour une plainte déposée il y a deux ans contrer l’administration pénitentiaire et l’UHSA. C’est super frustrant. 7 heures de camion en cellule de 0,3 mètre carré pour une demi-heure devant cette juge qui, escorte aidant, n’arrive pas à me parler comme à une « victime ». J’essaie de prendre le temps avec l’avocat, mais l’escorte veut rentrer et nous interrompt au bout de dix minutes à peine.
Quand je reviens, je les suis jusqu’au mitard où ils me disent de récupérer mes affaires. Je les range dans les cartons stockés dans la pièce en face puis demande « C’est où la cellule ? ». « Mais tu y es ! » Et voilà, j’ai fait 2m, je passe du QD (Quartier disciplinaire) au QI (Quartier d’isolement). Dans l’après-midi, ils m’amènent la convocation pour pour le débat contradictoire (ndlr : une mesure d’isolement est prise après une commission) du jeudi, mais je sais que c’est déjà joué, j’en ai pour trois mois au moins. Je réclame la promenade, c’est la même que les douze jours précédents, il n’y a que la trace de mes godasses dans la neige.
Il n’y a guère que le mobilier qui change : les chiottes sont séparées, le radiateur plus central, la chaise peut bouger (…) Comme la fenêtre n’a pas de grillage et que le mur (en face) est à 20m plutôt que 2, il y a un peu (on est en Bourgogne) de soleil. La température est environ de 16°C. J’ai accès au téléphone et à la douche tous les matins, soit deux fois plus qu’au QD. Les surveillants passent à 9h le matin. Et l’article D247 du CPP qui dit que la nuit sans ouverture ne peut dépasser 12 heures… Ouais, de 18h à 9h, ça fait combien ?
(…)
Le chef du quartier femmes, Dinan, m’a dit que le toubib avait eu un appel de l’OIP (ndlr : au sujet du chauffage en cellule) mais qu’il avait botté en touche. La technique, c’est pas lui, c’est Sodexo. Ce à quoi j’ai répondu. « Non, le respect de la loi, c’est vous. À vous de mettre la pression sur Sodexo ». Et là, pompon : « On le fait. Ils nous payent des amendes quand ils ne répondent pas à nos demandes ». En gros, merci les taulards de vous battre, vous enrichissez l’AP, et Sodexo l’a cool. Vive les Esquimaux !

• Samedi 23 mars, QI de Joux

(Christine raconte qu’elle envoie régulièrement des mots à la direction et exige des réponses, au sujet du fait qu’elle n’a pas rencontré la SPIP depuis son arrivée, qu’elle a demandé une négociation du prix de la télé avec Sodexo, une visite du médecin au sujet du suivi psy, et quand serait ré-examinée sa mesure d’isolement. Le vendredi 15, une chef et deux surveillantes sont venues lui parler en lui proposant de dialoguer pour apaiser la situation et en lui disant que les mots répétés à la direction ne serviraient à rien, mais que, elles, voulaient instaurer une « relation saine ». Malgré l’attitude moins « bienveillante » d’autres surveillantes, Christine espère que ce dialogue va apaiser la situation.)

Le samedi, à 18h, ils m’ont tendu le repas sans un mot, je l’ai pris et ai poussé du pied le sac poubelle bien fermé, pour qu’il franchisse le seuil de la porte. Là, le mec me l’a renvoyé d’un coup de pied. J’ai shooté dedans et il a éclaté dans le couloir. Ils en ont refoutu une partie en cellule et ont claqué la porte. Moi, j’ai repoussé les détritus contre la porte, ai caché l’œilleton et me suis mise à manger. Au premier passage à 19h45, la matonne a tapé, et je lui ai dit d’ouvrir, de ramasser ses poubelles, et qu’alors je déboucherais le judas. Elle m’a répondu « je t’ai entendu, ça suffit. T’as qu’à rester dans ta merde ». Pour le passage à 21h30, j’avais mis un mot sous la porte : « Cognez tant que vous voulez, ce sont les autres filles que vous réveillerez. Je vous demande juste que vous ramassiez vos poubelles puisque vous ne me laissez pas sortir les miennes ». Ça a cogné très fort à 22h30, moins fort à 1h30, 5h du mat’. Le lendemain dimanche, 7h, ils étaient plusieurs pour retirer le cache, sans un mot et sans prendre les poubelles. J’ai remis un cache aussitôt (sur l’œilleton). À 9h30 j’ai branché l’infirmier sur l’hygiène. Il était énervé. « Je dois déjà gérer l’OIP à cause de vous, alors vos histoires de poubelles, j’en ai rien à foutre ! » (…) À la gamelle, à 18h15, ils étaient au moins 6 pour me repousser quand je pousse les poubelles du pied.
La violence monte clairement. À 19h45, je suis étonnée car la porte s’ouvre. Ils sont huit. Je connais ce chef ? J’imagine que c’est le délégué CGT, car il m’appelle « camarade », ne cherche jamais la violence et sifflotte Bandera Rosa quand il approche de ma cellule. Il me fixe le marché : je retire le cache ou ils vident toute ma cellule ? Je lui redis le mien : ils vident leurs poubelles ou je laisse le cache. On discute pour le plaisir plus de dix minutes. Puis ils se décident à tout vider, y compris matelas, télé et couvertures, chaise et papier cul. Ça vire même à la franche rigolade car ils se savent ridicules. Il calme ses sbires quand, pour faire un peu de sport, j’essaie de gêner la fermeture de la porte et en rigole. Bien sûr, je cache l’œilleton aussitôt avec les moutons restés sous le lit. D’abord, je vais bien car il n’y a eu aucune volonté d’humiliation, juste l’obéissance idiote à des ordres idiots… que j’ai contrés. Mais la nuit est longue sans bouquins, et je commence à avoir froid sans couvertures. À 1h30, les coups dans la porte me réveillent et je n’arrive plus à m’endormir, même pelotonnée contre le radiateur. Par l’interphone, je demande la Ventoline et une couverture. Une bonne demi-heure plus tard (…) ils sont 3 à la fenêtre à me tendre la Ventoline. Ils font un autre aller-retour pour les couvertures que le chef, ensommeillé, me tend entre les barreaux en disant :
— Tu sais que tu fais chier, toi ?
— T’en fais pas, c’est réciproque…
(… le lendemain matin, Christine peut récupérer quelques maigres affaires.) Le chef m’appelle pour me signaler un CRI (Compte-rendu d’Incident) : jet de poubelles et insultes le samedi soir ! Je m’explique longtemps. (Puis elle récupère petit à petit toutes ses affaires.) Moi je vois que le QI les oblige à faire les loufiots puisque tout mouvement m’est interdit. Donc ils sont vexés. Mais au lieu de dire à la direction que la situation est idiote, ils la renforcent pour avoir un rôle plus « noble » de « disciplineurs ». Du coup, le temps et le nombre d’agents est multiplié à l’infini pour une peccadille à la base. C’est ce que j’essayais d’expliquer au juge le 13 février : « Foutez-moi la paix, ce sera plus simple pour vous, plus agréable pour moi. »

(L’embrouille suivante que Christine raconte a lieu un jour où elle doit aller voir le kiné :)

À 7h, j’ai prévenu en glissant un mot sous la porte que je devais monter voir la kiné. À 9h, quand ils sont venus ouvrir, je l’ai redit. Mais ils m’ont dit que j’avais le temps d’aller en promenade car elle ne venait qu’à 10h. Quand ils sont revenus vers 10h30, ils étaient 4, dont 2 mecs. La grille vers le bâtiment était fermée, et ma cellule ouverte. J’ai refusé tranquillement d’y entrer, expliquant qu’après, il serait trop tard. Le chef a voulu me saisir, je me suis débattue et retrouvée au sol. Là j’ai eu la possibilité de le mordre au bras mais je ne l’ai pas fait, mais le bracelet de sa montre a cassé quand il a retiré son bras. Ils m’ont tenue au sol le temps que les renforts arrivent. Ils m’ont menottée dans le dos, foutu une serviette dans la bouche et traînée jusque sous le lit du mitard. Mes lunettes étaient tombées depuis longtemps. Par deux fois, je suis arrivée à bloquer la fermeture du sas, puis ils m’ont délibérément écrasé la main dans la grille. Il restait un drap sous le lit et je l’ai mis sur le sas pour boucher la vue. Un quart d’heure après sont arrivés trois infirmiers psy. Je me suis d’abord adressée à la matonnerie en disant : « D’accord, je suis en prévention. Mais au mitard j’ai le droit aux bouquins, à de quoi écrire, aux couvertures. Alors quand vous m’aurez passé ça, je vous donnerai mes chaussures et mes lacets. _ Quand vous aurez mis l’allume cigare en route, je rendrai le briquet. Et je retirerai le drap quand j’aurai la convoc’ pour le prétoire. » Ils n’ont rien répondu. Les psys voulaient causer, que je retire le drap. Je leur ai dit que j’étais d’accord pour une consultation, qu’ils fassent ouvrir la grille, et ils ont refusé au prétexte qu’ils n’étaient pas toubibs. Puis ils ont essayé de me brancher en répondant au mot que je leur avais fait il y a une semaine. À la fin, je les ai envoyé chier et ils sont partis en disant : « Continuez comme ça et on vous fait hospitaliser ! » Même s’ils n’étaient pas médecins, ça m’a foutu les jetons. Une heure plus tard, à l’heure de la gamelle, ils sont rentrés avec les boucliers alors que j’étais assise sur le lit. Ils m’ont menottée et la chef Michel m’a tripotée pour trouver le briquet qui était dans la poche. (Elle ne l’a même pas trouvé !) Torture : ils faisaient mal exprès pour me faire « avouer où j’avais planqué le briquet ». J’en ai chialé de cette pseudo tournante ! Ils ont tout pris : veste, tabac, godasses, drap et même matelas. Ils sont partis sans me laisser à bouffer. Toute l’après-midi j’ai grelotté en écoutant si le brancard arrivait. Le chef « camarade » est venu me signaler la prévention et le CRI car j’aurais mordu le maton ce matin. Je lui ai redemandé mes affaires, il m’a dit de voir avec un gradé. Le médecin aussi est venu, sans ouvrir la grille malgré ma demande (« C’est non, vu les évènements ! »), je lui ai juste dit que je n’avais eu ni Doliprane ni repas (« Je vais leur signaler »). Ça a duré 30 secondes au plus. Je me demandais ce que je devais faire. J’avais froid et peur, j’étais en colère aussi. Puisqu’ils me privaient de bouffe, j’ai pensé commencer une grève de la faim, mais je suis contre ce mode d’action qui s’apparente à une tentative de suicide. À 18h, ils étaient super nombreux, dont le chef de détention Bacher pour m’apporter la gamelle. (…) Ils ont ouvert pour me rendre le matelas et mis le radiateur en route (mais au minimum). La discussion avec Bacher a été très agressive.
— Je veux mes affaires !
— Tu ne les auras pas et si t’es pas contente, t’as qu’à écrire à l’OIP.
— Et comment je leur écris sans stylo ?!
— Fais pas chier ! T’as mordu un collègue, t’es entre quatre murs et c’est bien fait pour ta petite gueule !
— De toutes façons, j’y suis entre quatre murs, que ce soit ici, en face, ou même en secteur ouvert !
— Et on va t’y faire triquarde si on veut. Tu vas apprendre que c’est pas toi qui décide. En 25 ans de pénitentiaire, j’en ai maté plus d’une, de petite conne comme toi !
(…) J’étais un peu rassurée car le risque d’hospitalisation d’office semblait s’éloigner, mais bien désespérée de passer tout le week-end dans cette cellule encore plus vide qu’une chambre d’isolement en HP… et plus froide. (…) J’ai essayé d’expliquer aux surveillantes que, quels que soient les ordres de la direction, elles devaient me passer mes affaires car c’était la loi. Je leur ai dit, très calmement, qu’après Nuremberg, pour contrer les « J’ai obéi aux ordres », l’armée française avait ajouté un paragraphe qui disait que tout soldat avait le devoir moral de refuser d’obéir à des ordres contraires à la dignité humaine. Elles approuvaient de la tête mais ne m’ont rien donné.
(Puis le chef lui restitue ses affaires petit à petit.) Il a aussi augmenté le radiateur qui souffle maintenant tous les quarts d’heure et mis en route l’allume-cigare. Je lui ai alors rendu le briquet, comme je l’avais promis 24 heures plus tôt. (…)
Dinan a voulu me faire un discours d’apaisement, me disant qu’il savait bien que je n’étais pas folle. N’empêche que ces s… n’ont appliqué la loi que quand ils ont pu voir que je craquais. Ça a du les faire jouir, ces sales m… !

• Dimanche midi : re-salut !

(Christine a reçu son dossier en vue d’un passage au prétoire pour les altercations survenues.)
Le 1er surveillant dit que je l’ai mordu et qu’il a 3 jours d’ITT. Le certificat n’est pas dans le dossier. Et je sais par expérience que ces s… sont capables de se mordre eux-mêmes pour des congés et des dommages et intérêts. J’ai donc demandé par courrier la production d’un certificat et une prise d’empreinte dentaire, bien que je sache que je ne l’obtiendrai pas. En plus il porte plainte. Voilà comment prendre un an de plus ! (…)
Dans le mot à la direction, j’ai aussi parlé des mauvais traitements de jeudi et vendredi, avoisinants à de l’incitation au suicide, et des permis de visites promis et toujours bloqués.

• Lundi 25 mars

(Christine est amenée au prétoire mais ni son avocat, ni son commis d’office ne sont présents.)
J’ai dit à la directice que je considérais cette commission comme illégale puisque mon droit à être assistée n’était pas garanti. Elle m’a dit que la commission aurait lieu quand même et que si je voulais je pouvais retourner en cellule. Là c’est vrai, j’ai crié : « Je ne veux pas retourner en cellule. Je ne veux pas être enfermée, et ce n’est pas la première fois que je le dis ! »
— Bon ! Et vous voulez vous exprimer sur ces faits ?
— Oui je veux m’expliquer devant une commission légale, assistée d’un avocat.
— Alors je vous écoute.
— Cette commission n’est pas légale.
Alors les matons qui étaient dans le couloir sont entrés pour me saisir.
(…) La directrice : si vous n’êtes pas contente, écrivez à la DI ou au batonnier. Moi je vais statuer.
— Non, vous avez la possibilité d’ajourner ce prétoire, pour qu’il se passe dans les règles. (…)
— Les commis d’office ne se déplacent pas pour une seule personne, je n’y peux rien. Alors maintenant, c’est à vous de décider si on vous ramène en cellule tout de suite ou si vous vous expliquez sur l’agression de ce surveillant.
— …
— Ok, emmenez-la !
Ils me sont tombé dessus à 10 et m’ont menottée. Je me débattais (sans une insulte) et mon pull et tee-shirt me sont passés au dessus de la tête. Torse nue, portée par ces gars, alors que je criais « Je n’agresse personne, moi ! », ça avait un côté « la Liberté guidant le peuple », mais ça manquait de témoins pour la postérité ! 🙂
Au mitard, ils m’ont démenottée alors qu’un maton avait un genou sur ma gorge. Je lui ai dit « Retire ton genou de là, je pourrais te mordre » et je me suis pris une baffe. J’ai ensuite essayé de bloquer la porte du sas. _ L’un a dit : « On la menotte au pied du lit ? », mais ils m’ont glissée dessous et sont arrivés à fermer le sas, comme d’habitude. (…)
La chef Michel m’a demandé si je voulais signer les papiers et je lui ai dit que je voulais d’abord les lire.
— Bon, donc vous venez de prendre 30 jours (de mitard) pour avoir mordu le premier surveillant.
— Je ne l’ai pas mordu !
— Si !
— Non !
— Si !
— Non ! Et j’ai demandé une empreinte dentaire pour confondre ce menteur qui veut des congés et des parties civiles.
— Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
— Parfaitement, et je parle d’expérience.
(…) Dans les motivations de la CDD (Commission de discipline) était écrit : « La détenue ne veut pas répondre aux questions. Elle ne reconnaît pas la CDD au prétexte qu’elle n’a pas d’avocat. Elle déclare n’avoir agressé personne. Les faits sont avérés et constituent une faute du 1er degré. Il convient donc de sanctionner par 30 jours de QD ».
(…) Putain ! Encore trois ou quatre ans comme ça, ça va être long… ! Et ça c’est dans les meilleurs des cas, si je fais attention à ne jamais me défendre de manière efficace lors de leurs démonstrations de force… Nom de dieu comment font les autres taulard(e)s ? Comment tenir debout dans ces conditions ?

• Mardi 9 avril, Bapaume, quartier arrivants

Ce matin à 8h j’ai eu droit au transfert. Il y avait les ERIS, aussi nombreux et équipés que le 15 février. Mais cette fois j’ai eu le droit à un fourgon cellulaire. J’ai donc refusé d’entrer dans la cage avec les menottes (devant) et les entraves, mais je n’ai rien pu faire. L’arrivée ici a été un peu plus calme. Bizarrement, je ne suis ni au QI ni au QD. (…) J’ai déjà rencontré la nana qui a pris une matonne de Joux en otage il y a deux mois. Je vais pouvoir aller en sport et en promenade collective. Je vais commencer par fêter ça avec une sieste et un coca devant la télé, quel confort ! Je vous tiens au jus de l’évolution, à bientôt.

Christine