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Maison d’arrêt de Poitiers Vivonne ( nov 2014/janv 2015)

L’introduction et les courriers marqués d’un * sont repris sur l’Envolée.

Christine et deux autres prisonnières se sont emparées de la proposition de plate-forme. Les extraits de courriers qui suivent témoignent des échanges, des doutes, des questions que suscite l’élaboration d’une parole collective. Elles ont finalement opté pour une liste de revendications en deux parties : revendications locales et revendications communes à toutes les détentions, que nous publions à la suite.

Maison d’arrêt des femmes du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne

Le 2 novembre 2014

Salut, […] Après pas mal de débats avec les deux copines d’ici, on est tombées d’accord sur l’utilité de coordonner les revendications locales dans les taules (voire dans les bâtiments) et de les porter dehors. Mais, je l’avoue, les premières phrases ont plutôt été : « Quelles revendications ? Les prisonnières sont adaptées et moutonnières ! On n’a aucune revendication commune. En prison, il n’y en a qu’un sur cent qui se bat. Et dehors, c’est pareil : l’Envolée, c’est quoi ? Trois pékins ? » Mais, portées par l’enthousiasme, on s’est dit que si l’Envolée pouvait faire passer dans toutes les taules les infos d’une lutte dans une, ça pourrait soutenir le moral des gens qui râlent ailleurs, sans savoir qu’il y a ce combat ailleurs.
Les Basques m’ont parlé aussi d’une bagarre qu’elles ont menée pour obtenir (comme les autres enfermées à Vivonne) les parloirs le samedi matin : dès que leurs familles ont diffusé des tracts au marché et devant la prison, ça a été accepté. Cette expérience prouve que si on arrive à sortir une liste de revendications dans le journal local, ça sera efficace. Du coup, j’ai écrit la liste suivante et je l’ai fait approuver par toutes les filles de la promenade. Bien sûr, ça ne veut rien dire car le jour où il faudra relever les manches pour obtenir des choses, on ne sera que trois à risquer le mitard (et dans le cas des Basques, ça nécessitera une coordination dans leur organisation). Mais bon, on aura la légitimité de dire au prétoire que si le mode d’action nous est personnel, la plate-forme était collectivement réfléchie…
PS : Comme à la télé, on a vu les manifs contre les violences policières suite à la mort de Rémi Fraisse, on a voulu se solidariser (à trois) et on a mis une affiche en promenade : « Assassiné sur la ZAD – suicidé(e)s en prison. Dedans ou dehors – la répression tue » : aucun écho, ni des filles, ni de l’AP…

*Jeudi 11 décembre

Nous avons donc affiché la liste de revendications le jeudi 13 sur le tableau des notes de services. A notre surprise, la feuille manuscrite y est restée quatre jours ! Mais nous n’avons eu aucun retour. Je l’ai donc expédiée à la direction qui n’a pas fait plus de commentaires. Alors nous avons fait une lettre, extrêmement polie, pour demander l’ouverture d’une salle aux mêmes heures que les promenades. Elle a été signée par toutes les filles de la MAF. Quand elle a été remise à la chef, j’étais déjà au mitard [NDLR : sanctionnée pour un refus de fouille à nu].
J’ai appris que le chef de bâtiment avait convoqué toutes les filles une par une dans son bureau pour leur faire peur en disant que les revendications collectives étaient interdites. Bien sûr, ils n’ont pas osé mentir ainsi aux Basques et à moi. En effet, ce qui est passible d’un CRI (compte-rendu d’incident), c’est « une action collective mettant en danger la sûreté de l’établissement », ce qui n’est pas notre cas. Au contraire, la loi de 2009 incite l’AP à consulter les détenus sur les activités qui leur sont proposées. Il en a profité pour leur dire aussi que c’était interdit de me saluer en criant (et comment peut-on faire autrement avec le béton qui nous sépare ?). Donc depuis quinze jours, seules les Basques me parlent.Bref, c’est l’attitude classique de l’AP…

*Le 11 décembre 2014

Je suis tout à fait d’accord avec le discours de Franck. Malheureusement, je suis d’accord avec son analyse sur notre impuissance !

Il veut déposer plainte contre l’AP… qu’il essaie donc et il verra, là encore, à quel mur il se heurte. Je l’ai fait à plusieurs reprises et ça traîne encore trois ans après mon dépôt de plainte. Pour eux, pas de comparution immédiate ! Peut-être que s’il a un bon avocat… je lui souhaite sincèrement ! […]
Je recopie ce que M. m’a écrit suite à sa lecture sur le texte de Franck : « J’ai parlé avec I., et bon, nous sommes d’accord toutes les deux pour dire qu’il se trompe à la base. Le problème c’est l’origine même de ce système pénitentiaire (pourquoi et dans quel but a-t-il été créé ?), et pas le trop grand nombre de bleus pourris comme il le prétend. Nous pensons également qu’il se contredit quelquefois (il pense que les prétoires sont importants mais reconnaît que la direction de la prison est impliquée, par exemple). Et bien sûr, si ce sont des actions bien organisées et qui cherchent l’union des gens, c’est bien, même, ce qu’il propose. Il faut se battre, dans l’union et l’organisation, et sur plusieurs fronts, à notre avis. Franchement, juste avec ce qu’il propose, vous n’arriverez pas très loin. Mais bon, c’est mieux que rien… pendant ce temps, nous continuerons ici… ça oui, debout et en lutte.
Bien sûr, il faut s’unir, et TOUTES les stratégies de lutte sont légitimes : la voie légale – en sachant ce qu’est leur Justice – et l’illégale.
Mais, à mon avis, il se croit trop dans un État démocratique. On peut faire améliorer les conditions de vie en prison, mais si on ne fait pas tomber le système capitaliste, ce monstre de l’AP continuera.

*Décembre 2014

LISTE DE REVENDICATIONS DES PRISONNIERES DE LA MAF DE VIVONNE

COMME AILLEURS, NOUS VOULONS :

– Des payes correctes, tant aux ateliers qu’au service général
– La suppression des QI et des régimes différenciés au CD
– Les portes ouvertes en MA et/ou le téléphone en cellule
– La mise en place systématique des aménagements de peine sans délais et des transferts en CD dès la condamnation
– La facilitation du téléphone, des parloirs et des UVF avec nos proches, enfermés ou non
– La fin des fouilles systématiques et/ou punitives
– Les repas appétissants : marre de manger du plastique !

LOCALEMENT, NOUS DEMANDONS :

– Des conditions dignes à la nursery : arrêt des réveils nocturnes, une cour avec de l’herbe, des temps de socialisation pour la maman… – L’accès à l’école pour toutes : fin des refus avec la fausse excuse de la mixité
– La télé à 8 euros par mois : alignement sur la loi, comme dans les prisons publiques (18 euros ici pour Eurest)
– La fin de l’interdiction des apports aux parloirs (livres, disques, produits d’hygiène…) : on n’est pas là pour enrichir les cantines privées
– L’ouverture d’une salle de convivialité : elle doit être systématique quand la météo est mauvaise car il n’y a pas de préau dans la cour
– Plus d’activités : actuellement, il n’y a que « bricolages en papier « et « fitness », 2h. par semaine
– L’accès au terrain de foot : seuls les hommes y ont droit
– La gratuité du courrier interne : on doit timbrer les lettres pour le quartier hommes (Ces demandes sont toutes réalisables dans l’état actuel de la législation)

*Mardi 6 janvier

[NDLR: écrit depuis le mitard après une embrouille avec des surveillants]

Salut ! Il y a quand même eu un truc très chouette. Le jeudi 25, six filles ont dit qu’elles ne rentreraient de promenade que lorsqu’elles auraient vu un chef pour lui remettre un courrier à propos des conditions de vie au quartier disciplinaire (QD). Elles ont obtenu gain de cause sans aucune violence. Elles passent au prétoire demain (mais les deux cellules du mitard sont déjà occupées : l’une d’elles est de nouveau de retour pour une pécadille et ces salauds lui appliquent le même protocole qu’à moi. Elle est donc en grève de la faim depuis deux jours). […] On n’a pas eu de retour officiel de notre affiche, qui est quand même restée quatre jours. Durant mes cinq jours de pause, on a demandé l’ouverture exceptionnelle d’une salle pour partager ensemble le premier repas de 2015, mais sans pétition.
Le 30, alors que j’étais au QD, on leur a dit que c’était accepté, mais que pour un goûter. Puis le soir, les matonnes leur ont dit que celles qui avaient un CRI (celles qui avaient exprimé leur solidarité contre la torture du QD cinq jours avant) en étaient interdites. Voilà comment marche l’AP… Je te recopie ce qu’écrivent les copines suite à la lecture de ta lettre : « Pour te répondre nous ne savons pas trop quoi dire… peut-être nous insisterons sutout sur un aspect : l’organisation. Peut- être faudrait-il faire des efforts pour trouver quelqu’un/une dans chaque prison pour faire un réseau de gens et de groupes, un réseau le plus ample possible. Après, les revendications, je ne pense pas que ça sera difficile d’en trouver en commun… et recevoir et envoyer de l’information, on est partantes, oui. »

Mardi 6 janvier

Salut

Je suis à nouveau au mitard. (…) Je suis sortie du mitard le 17 décembre. Ils voulaient me foutre au QI mais ils ont cédé aux arguments d’une bricarde moins conne que la moyenne et je suis retournée à la MAF. J’étais contente de revoir les filles mais triste parce que l’une d’entre elles venait de prendre 8 jours de QD, on avait passé ma dernière journée à causer à la fenêtre. Le dimanche 21 au soir, je voulais qu’ils lui passent du rab de la gamelle (j’avais laissé mon yaourt au chocolat car je sais qu’elle aime ça). Ils ont géré ma demande par le mensonge et le mépris.
Donc, le lendemain matin, à 7h, à l’ouverture, je suis sortie de la cellule avec ce foutu yaourt pour discuter avec la surveillante dans le couloir. Mais il y avait aussi un bricard avec qui ça s’était mal passé durant les 30 jours précédents. Il gueulait et m’a foutue au sol pour me menotter et m’envoyer au QD. Je me suis laissée faire. Au mitard, pour calmer le jeu, j’ai accepté de vider mes poches et j’ai dit que je donnerai mon survêtement qui avait un lacet en éch    ange d’un jean. Mais ce con tenait à sa crise d’autorité. J’ai négocié un quart d’heure puis il est redevenu violent. Là je suis arrivée à le mordre par deux fois au mollet. J’ai pris de la lacrymo en pleine face et ils sont sortis. J’ai attendu à poil jusqu’à 11H pour avoir enfin de quoi me laver et m’habiller.
Pour la promenade de l’après-midi, ils sont venus à quatre avec casques et boucliers et m’ont dit de me mettre face au mur pour être menottée. J’ai refusé et ça a encore cogné. Idem le mardi matin. Quand le médecin est venu pour la visite obligatoire, ils sont restés avec lui dans la cellule. Au prétoire, sans surprise, j’ai pris 30 jours. Le directeur m’a aussi promis le transfert disciplinaire (ouf!) après la GAV et la comparution immédiate qui devait suivre.
Depuis, chaque ouverture se fait avec les robocops mais ils ne tentent plus de me menotter et je reste assise sur le lit quand ils déposent la gamelle sur la table. Je prends quand même des coups régulièrement et le mépris est à son paroxysme (refus de me donner la balayette, refus de chaussures pour la promenade, froid en cellule, pas de respect du secret médical, etc…).
Là j’attends avec impatience la gardav’, ça me fera une pause dans la violence de l’AP.
J’avais eu une GAV le 8 décembre et ça s’était très bien passé. J’y ai appris qu’en plus de la plainte de la prison de Vivonne, il y en avait une, vieille de 18 mois, de celle de Séquedin. Si on ajoute à ça celle de Fleury, toujours en suspens, ça fait pas mal ! Bref, j’étais repartie avec une COPJ pour le 28 avril 2015. Là, j’attends la deuxième couche…

Bon voilà où on en est actuellement. Il y a quand même eu un truc très chouette. Le jeudi 25, six filles ont dit qu’elles ne rentreraient de promenade que lorsqu’elles auraient vu un chef pour lui remettre un courrier à propos des conditions de vie au QD. Elles ont obtenu gain de cause, sans aucune violence. Elles passent au prétoire demain (mais les deux cellules sont déjà occupées, I. est de nouveau de retour pour une pécadille et ces salauds lui appliquent le même protocole qu’à moi. Elle est donc en grève de la faim depuis deux jours).

On n’a pas eu de retour officiel de notre affiche (ndlr : une liste de revendications collectives) qui est quand même restée 4 jours. Mais l’officier a pris à part quelques filles pour leur dire de se méfier de « celles qui font de la politique » et les menacer d’un CRI si elles me répondaient de la cour. Bien sûr, ni les Basques ni moi avons eu droit à ces menaces idiotes et on a continué à se saluer tous les jours, entraînant de timides cris des autres.

Durant mes cinq jours de pause, on a demandé l’ouverture exceptionnelle d’une salle pour partager ensemble le premier repas de 2015, mais sans pétition. Le 30, alors que j’étais au QD, on leur a dit que c’était accepté mais que pour un goûter. Puis le soir, les matonnes leur ont dit que celles qui avaient un CRI (celles qui avaient exprimé leur solidarité envers la torture du QD cinq jours avant) en étaient interdites. Voilà comment marche l’AP… (…)

Je n’ai eu la réponse de la JAP que le 18 (j’attendais depuis plus de 48h, j’étais sur les dents!) : refus. Je pensais que l’appel viendrait de la proc’, pas d’elle puisque l’AP était pour. Mais entre temps, les conditions s’étaient bien dégradées au QD et il y avait cette première GAV… Bien sûr j’ai fait appel avec le baveux, mais sans aucun espoir vu l’ambiance actuelle. Je ne crois plus pouvoir sortir en 2015 de ces murs. Et merde ! (…)

Lettres de Réau ( oct / nov 2013)

Centre pénitentiaire de Réau, dimanche 20 octobre 2013

À Séquedin, jeudi 17, ils m’ont dit de faire mes cartons pour 8 heures du mat’. J’étais contente, car ça voulait dire que j’allais arriver ici au quartier arrivant, normalement, pas au mitard. Et puis je me disais qu’à Réau, je ferais la connaissance de Kaoutar dont j’avais lu les combats dans l’Envolée. Bref, j’ai fait mes cartons sans traîner, et accepté la fouille à poil sans rien dire. Au greffe, j’ai signé mes papiers pour la compta et la chef de détention a dit de ne pas s’emmerder avec la prise d’empreinte du doigt. Elle m’a saluée convivialement, certes contente que je débarrasse le plancher, mais je l’ai cru sincère quand elle m’a souhaité bonne chance pour la suite.

Quand la chef d’escorte a voulu me menotter devant, je lui ai demandé si c’était un fourgon cellulaire. Comme elle m’a répondu que oui, j’ai refusé le menottage en lui citant l’article 803. Je l’avais déjà fait avec les gendarmes lors de l’extraction pour le procès à Arras le 19 septembre et ils avaient compris, il n’y avait donc pas eu de problème. Mais il faut croire qu’à l’Administration Pénitentiaire (AP), ils savent moins lire… Bref, ils m’ont dit de retourner en cellule le temps de rappeler la chef de détention. Elle est revenue vingt minutes après pour me dire que ce n’était pas négociable, que c’était systématique, ce qui est totalement illégal. Je suis restée très calme, n’ai pas crié et ai ré-expliqué et cité le texte. Elle est partie se coordonner avec le directeur, j’imagine. J’ai eu espoir un moment car ils avaient tout intérêt à ce que je parte et je restais très calme, absolument pas menaçante. Mais je les ai entendus s’équiper avec les boucliers et se coordonner.

Quand ils m’ont plaquée au mur dans la cellule, je n’ai pas réagi. J’allais me laisser menotter car la Spip (une femme bien, c’est assez rare pour le noter) m’avait
promis qu’elle ferait tout pour que je puisse voir mes parents au parloir samedi, que ça soit à Séquedin ou à Réau, et je n’avais aucune envie d’être marquée au visage. Mais ils gueulaient et ils m’ont balancée au sol. J’ai essayé de me débattre, et comme régulièrement à Séquedin, ils m’ont envoyé des coups de poing dans la gueule. Ils m’ont menottée dans le dos en faisant exprès de me faire mal, et mis les entraves. J’ai résisté vaillamment pour ne pas rentrer dans la cage du camion, mais un casqué m’a prise à la gorge et je n’ai pas pu bloquer longtemps. J’ai passé deux heures de route pas cool, avec l’œil qui gonflait et les poings ankylosés dans le dos.

Je n’avais pas vraiment mal mais j’étais dégoûtée de devoir expliquer à mes parents dans deux jours que je m’étais encore fait casser la gueule, alors que tout devait se calmer. Alors, une demi-heure avant d’arriver, une fois que j’étais bien calmée, j’ai demandé à la surveillante de sortir du camion juste avec les menottes devant, pour ne pas reproduire l’image qu’ils m’avaient fabriquée à Bapaume et Séquedin. Elle a compris et a négocié avec le chef d’escorte qui a promis. Mais sur le parking de la zonz’, il n’est pas venu me retirer les entraves. Et quand on est arrivés dans le sas, devant le greffe, il est allé prévenir ses collègues avant de m’ouvrir. Bref, j’avais les larmes aux yeux quand une bricarde d’ici est montée dans le camion me dire qu’ils allaient me dé-menotter si je promettais de ne pas cogner. Dans le couloir du greffe, il y avait déjà quatre casqués avec les boucliers… Bien sûr, comme d’habitude, j’ai refusé de donner mes empreintes et la photo.

Le chef de détention m’a alors prise dans son bureau un quart d’heure pour me faire la morale : tout allait recommencer à zéro, j’allais arriver au quartier arrivants, mais il fallait que j’y mette du mien. Je lui ai expliqué que je n’accepterais pas une deuxième fouille à nu car ils ne m’avaient pas lâchée depuis quatre heures. Il m’a dit que les nouveaux portiques promis par Taubira étaient arrivés et qu’il n’y avait pas de fouille systématique après les parloirs. Il insistait surtout pour que je fasse l’empreinte biométrique pour la carte de circulation, qui semblait leur être très importante.

Puis il m’a refilée à une bricarde du CDF(Centre de Détention pour Femmes) le temps d’aller téléphoner. Il y avait aussi une gradée, elles ont continué à me mettre la pression surtout pour la carte en alternant promesses et encouragements. J’étais épuisée et j’ai cédé. J’ai mis ma main dans la machine, avec les casqués à deux pas. Ils ont volé une photo pendant que je signais le papier (pas d’empreinte digitale). Il n’y a pas eu de fouille intégrale et elles m’ont conduite, sans les casqués, au CDF. Dès que j’ai été en cellule, bien qu’il y ait le repas sur la table et qu’il soit 13 h 30, je me suis couchée.

Ils m’ont réveillée une heure plus tard pour voir la toubib qui m’a fait un certificat de coups et blessures. Puis j’ai revu la bricarde dans son bureau, accompagnée de la directrice. J’ai essayé de leur expliquer les règles à respecter. Quand on a fait l’inventaire de mon paquetage, la directrice a tiqué sur l’Envolée et les bouquins sur les socialistes utopiques (je suis des cours d’histoire avec Auxillia) et ça m’a fait rire. Elle m’a même demandé de quelle organisation je faisais partie, alors que je n’ai jamais été encartée à quoi que ce soit, sauf six mois à la confédération paysanne lors de mon installation agricole.

Puis je suis allée en promenade où j’ai rencontré une dizaine de filles qui sont en « portes fermées ». Il y avait notamment Kaoutar, qui vous passe le bonjour. Elle m’a expliqué qu’elle avait pris vingt jours de mitard mais que le psy avait ordonné le fractionnement : deux jours au Quartier Disciplinaire (QD), trois jours en bâtiment, sur deux mois. […] Ici beaucoup de filles sont ensuquées au médocs. Le shit est objectivement le meilleur allié de l’AP !

La nuit, ils sont passés donner de la lumière toutes les heures, comme si j’étais suicidaire. À chaque sortie de cellule, ils étaient au moins quatre. Les filles m’ont dit qu’ils leur avaient aussi conseillé de se méfier de moi. Donc j’ai fait un mot dès le vendredi matin pour leur dire d’arrêter leur provocation. J’ai vu un autre chef pour l’entretien d’accueil et le dépistage suicide et j’ai renouvelé ma demande. Le soir, à la gamelle, ils m’ont dit qu’ils arrêteraient de venir toutes les heures. Effectivement, depuis, ils viennent toutes les deux heures ! Et ils sont toujours en surnombre pour mes mouvements. Donc je mets le cache sur l’œilleton et je leur ai expliqué pourquoi.

Samedi j’ai vu mes parents au parloir pendant deux heures et demi. Mais ils ont imposé des fouilles (palpation à l’entrée, à nu au retour) sous prétexte que les nouveaux portiques étaient certes arrivés, mais pas mis en place. J’ai râlé un peu mais j’ai accepté comme à chaque fois qu’ils tiennent mes proches en
otage. Aussitôt après, j’ai voulu aller en promenade, une fois déposé mon sac de livres et de linge propre en cellule. Ils ont accepté mais m’ont demandé de repasser sous le portique détecteur de métaux alors qu’ils ne m’avaient pas lâchée depuis la fouille. J’ai gueulé et j’ai crié « Bip-bip-bip » en passant dessous : « Là, ça va comme ça ? » Quand j’ai atteint la porte qui donne sur la cour, quatre casqués étaient en train d’arriver en courant au CDF. Je les ai ignorés et suis allée en promenade. Le CDF a été bloqué vingt minutes, sans explications. Le retour s’est fait normalement, mais avec quatre maton(ne)s. Ma cellule n’avait pas été fouillée.

Dimanche, je n’ai pas vu le chef à qui j’ai écrit. J’espère que ça sera aujourd’hui (il est maintenant 5 h 30 du mat’ et je continue cette lettre car j’ai été réveillée par les contrôles nocturnes). Hier j’ai essayé d’expliquer au bricard que si je ne lui disais pas « bonjour », c’était une forme de respect par le refus de l’hypocrisie : je n’ai aucune envie qu’il passe une bonne journée : j’espère chaque fois qu’il y aura des évasions et des mutineries. Je ne pense pas qu’il a compris…

Bon, voilà les news, à utiliser comme bon vous semble […]. Les infos circulent, le dehors bouge aussi, c’est l’essentiel. […] Gardez la niaque et à la prochaine.

Centre pénitentiaire de Réau, vendredi 22 novembre

Jeudi, je devrais avoir le délibéré du procès du 19 septembre à Arras. De manière un peu originale, le juge avait demandé une visio-conférence quelques jours avant. Je n’avais pas bien compris pourquoi car je n’ai pas la possibilité de parler à l’énoncé du verdict. Je me suis dit que c’était juste de la perversité de sa part : il voulait voir ma tronche quand il me dirait que j’ai pris un an de plus pour n’avoir même pas cogné sur des matons, et peut être avoir une possibilité de relever un outrage à magistrat… Bref, à 15h15, j’étais dans la salle de vidéo, au parloir avocat.

Pendant presque 3/4h, la surveillante a bataillé pour mettre la machine en marche car la connexion ne passait pas malgré de multiples essais. Ça commençait à me gonfler et j’avais envie d’une clope. J’ai dit à la surveillante « Mais on s’en fout de la vidéo ! Tu téléphones juste au tribunal pour leur demander la sentence, c’est tout ». Bien sûr elle a répondu : « je ne peux rien décider, je vais voir le chef ». J’ai réussi à ne pas crier en disant : « Mais pourquoi t’as besoin d’un chef ? Cette justice est rendue au nom du peuple français. T’en fais parti, non ? N’importe qui peut rentrer dans la salle là-bas. Y a pas besoin de chefs pour que j’arrête de glander ici : tu te renseignes et je vais en promenade. » Pour que je ne puisse pas fumer sans me prendre un Compte Rendu d’Incident (CRI) [2], elle m’a collé dans une cellule plus petite, sans fenêtre.

Au bout d’un quart d’heure, l’officier du CDF est venu me dire qu’il avait eu le juge au téléphone. Le délibéré est repoussé d’une semaine et il demande une extraction. Je n’en revenais pas : une virée Paris-Arras, 5h de route, cinq gendarmes au moins (ou 2h de TGV et trois gendarmes) pour 5 minutes au tribunal !

J’ai appelé l’avocat pour savoir ce qu’il en pensait et lui aussi est étonné. Ça nous permettra au moins un RDV…

Cette insistance du juge pour me parler me fait espérer qu’il a quelque chose de sérieux à me dire. Pourtant, ma plainte contre Bapaume, déposée le 12 juin, n’est toujours pas enregistrée et l’avocat fait les démarches pour contrer le parquet et obliger un juge d’instruction à s’y coller. Alors quoi ? C’est juste pour me faire la morale ? Encore quelques jours avant de savoir…

Ici, la situation se tend un peu avec la matonnerie. Quand je suis arrivée, le 17 octobre, le chef de détention en personne m’a demandé de prendre la carte biométrique en m’assurant que ça ne serait pas transmis au FNAEG (Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques) ou autre. Comme il m’a promis que je serai au Quartier Arrivants (QA), avec le même régime que toutes les autres filles et que j’étais fatiguée par la dernière démonstration de force de Séquedin (voir le récit précédent), je l’ai acceptée.

Mais durant 5 jours, il y avait une escorte renforcée (sans bouclier/casque) à chaque ouverture de cellule, des contrôles nocturnes très fréquents, et je ne suis toujours pas à l’étage, en portes « ouvertes ». Donc le 23 octobre, je lui ai rendu la carte en lui disant qu’il n’était qu’un menteur. Je pensais que cette provocation allait le faire réagir, mais il a laissé couler. Durant 3 semaines, je me suis très bien passée de cette carte pour tous les mouvements (activités, promenade et même accès à l’infirmerie, dans un autre bâtiment). Ils me mettaient juste la pression pour les parloirs et là, comme ils tenaient mes proches en otages, je me soumettais.

Mais ils ont organisé un prétoire jeudi au sujet de cette grève de carte. Bizarrement, ils ont été réglos et m’ont notifié qu’une faute du 3ème degré (7 jours maxi de mitard). J’étais contente de revoir le chef de détention, Schesser, que je réclamais en vain depuis plusieurs jours. On a discuté très clairement, sans compromission. J’étais sûre d’aller au QD, j’avais préparé le sac. Mais il ne m’a mis que 5 jours de sursis et m’a dit de reprendre la carte ; Bien sûr, j’ai refusé puisqu’il ne s’était pas excusé de ses mensonges. Donc, il a remis un nouveau CRI et je repasse en commission de discipline la semaine prochaine. Depuis, le chef de bâtiment m’a refait la morale à coup de « il s’en fout, il n’est pas ici, mais planqué dans son bureau. Il est orgueilleux et ne lâchera pas. Acceptez la carte et vous monterez vite à l’étage. Sinon, ça va devenir de plus en plus dur pour vos parloirs. »

J’attends le prochain prétoire pour décider de mon attitude face à ce menteur. Rassurez-vous, je me souviens de ce que j’ai dit le 19 septembre à Arras : je n’irai plus dans une bagarre que je ne peux pas gagner. Je vais essayer de tenir mon orgueil en laisse et ne pas pourrir mes parloirs mensuels avec mes parents. Ceci dit, je maintiens : on ne peut pas être respecté si on n’est pas respectable.

Centre pénitentiaire de Réau, mardi 12 novembre

Salut ! Pour moi, depuis presque 4 semaines ici, ça ne se passe pas mal . Certes, je suis toujours en « portes fermées » alors qu’après le temps d’observation en QA, durant 10 jours dont 5 jours avec un renfort de matonnerie à chaque ouverture de cellule, ils ont bien compris que je savais m’adapter à la vie en collectivité. Mais j’ai l’impression qu’on atteint une espèce d’équilibre dans le pouvoir de nuisance. À la différence des premières semaines à Bapaume, où je ne m’étais pas faite cognée dessus non plus, ici ils n’esquivent pas le conflit par la bonhomie. Il est affirmé des deux côtés qu’on n’est pas potes, mais pour autant, par économie et confort, aucun n’a envie d’aller au physique.

Par, exemple, jeudi soir, c’est monté haut en décibels pour une histoire d’accès à la promenade où on est censé rester 2h en rang, ce qui est bien long surtout avec cette météo hivernale. Or j’ai dégoté deux lignes dans la règlement interieur qui dit qu’on peut aller en promenade après une activité. Donc il suffit d’aller à la biblio ou à la muscu durant 1h ou 1h30 pour rester dans la cour 1h ou 1/2h. Ça a énervé des matons plus habitués à la normes qu’à la règle, mais ils ont dû céder. L’un d’eux m’a même dit le lendemain : « Je ne devrais pas te le dire mais en vrai tu nous es utile car tu oblige la direction à prendre position au lieu de nous laisser nous démerder, nous surveillants de base, avec des textes inadaptés » ! V’la l’meilleur maintenant : la récupération !

Pour arriver à rire de ça, j’ai une vrai aide. Tous les jours, je vais à la salle de muscu au moins 1h.

Je fais du rameur, en endurance ou en résistance, des séries d’abdos, des exercices de musculation des épaules (c’est ce qui fait le plus mal quand ils tordent…). De sentir le cœur accélérer parce que l’écran indique qu’on a parcouru 5km à vélo (même si on a pas bougé d’un centimètre) c’est bien plus agréable que de le sentir cogner parce qu’on se dit : « Je viens de les envoyer chier. Là, ils en réfèrent au chef. Dans 10min, ils reviennent avec les casques et les boucliers. Dans un quart d’heure, je suis au mitard, les épaules en bouillie. Ah ! Je les entends… Oh putain, ils sont au moins dix ! ». Je me tape une bonne sué tous les jours, ça me fatigue et me détend à la fois. Pour eux aussi, même s’ils doivent gérer des mouvements [3] supplémentaires (notamment la promenade pour une demi-heure…), je suis sûre qu’ils se disent « Pendant 1h on ne la pas entendue, là, entre la douche et la sieste, on a encore 1h de tranquille… ». j’ai essayé d’expliquer à une surveillante qui voulait me brancher en discussion sur le bien être sportif que si elle en était convaincue c’était la dernière chose à supprimer quand un(e) taulard(e) s’énerve et non la première entre Quartier d’Isolement (QI), confinement, QD et autres saloperies, de punitions, de privations.

J’ai aussi commencé des cours (arabe pour débutante et espagnol) et des activités (chant, sophrologie, volley et badminton). La qualité varie beaucoup selon l’intervenant. Par exemple, le prof d’arabe est bien institutionnalisé, alors que la prof d’espagnol vient pour la première fois en taule. Elle est arrivée une demi-heure en retard au premier cours et nous a dit « Désolée, je ne pensais pas qu’il y avait autant de protes et de sas. Il a même fallu que je vide tout mon sac et leur laisse mon portable… », on a répondu « Sans dec’ ? » en ricanant « et encore, si t’avais eu un soutien gorge à baleines, tu y serais encore ! ». On lui a aussi expliqué que si elle voulait qu’on ait un cahier et un stylo, elle ferait bien de nous les fournir car on aller pas empiéter sur notre pécule pour le tabac. Tout ça l’a un peu étonnée, nous ce qui nous a étonné c’est le rythme auquel elle nous a mis au boulot : en 45min, on a appris les jours de la semaine, les 12 mois, à compter jusqu’à 100 et quatre phrases de base ! En 3h d’arabe, on a appris péniblement cinq phrases par cœur…

Les autres activités sont aussi assez aléatoires car, par exemple, on ne peut pas aller au gymnase pour faire volant si on est moins que trois (alors qu’il y a là-bas deux profs payés par l’AP). L’activité couture à laquelle je me suis inscrite il y a 8 jours a été annulée totalement aujourd’hui, une demi-heure avant l’horaire prévu du début…

Je sais bien que cet équilibre est précaire, qu’ils peuvent à tout instant décider de retourner à leur habitudes de répression. Ils ont déjà le moyen de mettre la pression car je leur ai rendu leur carte de circulation informatisée qu’ils m’ont refourguée à coup de mensonges et de promesses à mon arrivée ici il y a un mois. Pour l’instant , ils ne m’obligent à l’utiliser que lors des parloirs, quand ils tiennent mes proches en otages. Le reste du temps, ils s’en passent : ils ne vont pas me mettre à la porte ! Mais s’ils veulent, ça peut entraîner un CRI à chaque sortie en promenade. Un peu comme le refus d’ADN au pénal, ça peut faire enquiller des peines de 7 jours de mitard à l’infini…

Voilà juste un an que je suis enfermée. L’anniversaire c’était samedi 9 novembre. J’aimerai bien que ça continué comme ça, même si je ne monterai jamais à l’étage des « portes ouvertes ». Si je suis encore là en janvier je pourrais commencer un formation horticulture. Ce n’est pas qu’un CAP me tente, mais j’aimerai pouvoir me salir les mains avec de la terre, à bosser avec du vivant…

En février je devrais pouvoir recevoir mes parents 6h en UVF (Unité de Vie Familiale) [4]. Pour ça, il faudrait que je reste plus que 3 moi, ce qui n’a pas été la cas dans les cinq taules précédentes…

Dans une semaine, j’aurai le délibéré du procès d’Arras du 19 septembre où la proc’ a demandé un an à cause des peines planchers. Et puis, il y a encore le procès de Lyon où javais pris 4 mois le 13 février et où le proc’ a fait appel : on n’a toujours pas la date. Au mois de novembre, il dois y avoir une Commission d’Application des Peines (CAP) où il me diront que tout mes CRP (Crédits de Réduction de Peine) [5] ont sautés et que je n’aurai pas de RPS (Remises de Peines Supplémentaires). Les démarches pour la confusion de peines traînent. Je vais passer un 2ème Noël loin de mes parents… Fait chier !

Christine

Lettres de Sequedin (juillet / aout 2013)

Fin juillet, une autre détenue est placée au mitard dans la cellule à côté de Christine. Celle-ci est violentée par les matons et peine à avoir un entretien avec un médecin. Christine décide alors de refuser de remonter de promenade en solidarité avec sa voisine de cellule. Aucun résultat. Les matons ne répondent alors plus à ses appels incessants à l’interphone. Pour les faire se bouger, elle leur dit alors « il va y avoir de la prise d’otage dans l’air ». Rapidement matons et toubib viennent voir sa voisine, mais le toubib refuse d’entrer dans la cellule, puis s’apprête à repartir sans aucune consultation. Christine l’interpelle en lui disant de ne pas partir car elle avait dit qu’elle ferait une prise d’otage. Ni une ni deux, elle est renvoyée en cellule par une dizaine de matons. Quelques heures plus tard, on vient la chercher pour la transférer à Lille-Sequedin.

Arrivée là-bas, une note interne interdit au personnel soignant de rencontrer Christine sans la présence des matons. Ces derniers s’y plient. Christine se lance alors de nouveau dans un bras de fer, cette fois-ci pour elle-même avoir droit à une consultation médicale. Refus de remonter de promenade, incendies de poubelles, rien n’y fait et le niveau de violence que les matons donnent en réponse ne cesse de grimper. Christine décide alors de faire une grève de la faim et de la parole. Ils l’ignorent ou tentent de l’en dissuader, mais Christine tient bon. L’OIP de Lille est réactif et somme l’Administration Pénitentiaire et le service médical (UCSA) de s’expliquer sur la situation.
Le lendemain, au bout de huit jours de grève de la faim, Christine obtient satisfaction vis à vis de ses revendications (consultations permettant le secret médical, coup de fil à son avocate et entretien avec la direction).
Le 16 août, les 45 jours de mitard écoulés (15+30 avec une pause de quelques jours. Maximum 30 jours de mitard consécutifs depuis une réforme de 2009) elle sort mais est placée directement en Quartier d’Isolement (QI).
Cela ne durera qu’une semaine. Le 22 août, elle est de nouveau placée au mitard. Cette fois-ci pour avoir fait valser un vélo après s’être vu refuser de passer l’heure de sport avec sa voisine de QI.
Elle passera lundi 26 août en commission de discipline pour ces faits mais également pour « violences aggravées » contre des matons (au moment de son bras de fer pour voir le toubib). Ils se seraient blessés en cognant Christine… Ils ont également porté plainte.

 

SEQUEDIN,
dimanche 28 juillet

Bon ben, j’ai encore changé d’adresse. […] Me voilà à Lille, de la Redoine Faïd est arrivé à mettre les voiles. Comme je n’ai pas son réseau, je pense pas pouvoir sortir du Quartier Disciplinaire [QD/mitard] avant le 20 août et d’ici avant le 20 septembre, après le procès d’Arras.

Pour résumer l’histoire, […]mercredi ils ont amené K. une fille que je connais à peine, avec l’équipement anti-émeute que je me croyais réservé. Elle était super énervée, même quand ils sont partis. Elle gueulait toute seule à coup de «  j’m’en fous », «  bande de salopes », « j’vais aller à l’hosto » et tapait sa fenêtre comme une sourde. Elle ne me répondait pas et les a envoyés chier quand ils ont ramené la gamelle.

Mais enfin, vers 3h, elle a eu une demande claire : elle voulait aller au téléphone pour appeler SOS amitié (n° gratuit). Ça aurait été le moyen qu’elle discute, mais ils ont botté en touche à coup de « on verra plus tard ». Moi même j’étais assez énervée par le bruit qu’elle faisait et par le retard du courrier (distribué normalement à midi). Bref, elle a bouché les chiottes et a déclenché la chasse d’eau une centaine de fois. Au bout d’une demi heure, le QD (nos 2 cellules et le couloir) était noyé. Quand je leur ai dit à l’interphone, d’un seul coup, ils ont été disponibles. Ils m’ont collée en promenade avec mon courrier et ont nettoyé ma cellule. Mais elle, ils ne lui ont pas ouvert, ces cons ! Je leur ai dit ce que je pensais de leurs méthodes et ils m’ont répondu qu’elle avait les mêmes que moi (sauf que là il n’y a pas « dégradation par moyen dangereux » comme avec le feu). À 17h30, quand ils m’ont ouvert pour rentrer, je leur ai dit que j’avais un devoir de solidarité et que je ne rentrerai pas tant que K. n’aura pas ses lunettes, son tabac, ses bouquins et les couvertures qu’ils étaient venus lui prendre avec les casqués à 16h. Ils m’ont dit qu’ils ne pouvaient rien faire sans l’équipe alors je leur ai dit que j’attendrai dans la cour qu’elle arrive. Je pensais voir débarquer les casqués pour me remettre en cellule, mais ils ne sont revenus qu’à quatre dont le directeur Mathieu. Le chef du Quartier Femmes (QF), Wattel, m’a dit qJe suis sortie du mitard ce WE. Pas originaux, ils m’ont collé direct au QI, comme à Joux.
Ils ont justifié ça par le dossier disciplinaire, ce QI n’est pas valable. En vrai, ils ne veulent pas que j’aille en bâtiment où les filles (et les mecs aussi d’ailleurs) se font tripoter avant chaque promenade. Ils savent que je refuserai la palpation et n’ont pas envie de me cogner dessus à 10 contre un devant les filles qui pourraient être choquées et du coup (oh horreur !) solidaires.
[…] Hier, lundi, [ma voisine de QD] passait au prétoire. Moi j’étais dans la salle où il y a le téléphone, à une dizaine de mètres. J’ai entendu qu’ils la rentraient de force, elle criait qu’elle avait mal. Forte de l’expérience passée et de la promesse du psy, elle pensait que ça s’arrêterait là, mais ils lui ont mis 30 jours ! Devant leur violence (4 matonnes étaient arrivées en courant au QD en plus), j’ai cogné sur la porte de la salle. Bizarrement, en quatre coups de pied, j’ai fait péter la serrure et me suis retrouvée dans le couloir qui donne d’un côté sur le QD de l’autre sur le QI et de l’autre sur la rotonde et l’accès à la grande promenade. Je suis allée vers le QD, il y avait 6 matonnes derrière la porte, dont la directrice. Une brigarde moins conne que la moyenne m’a dit : « Je t’assure qu’on ne l’a pas cognée, je ne l’ai même pas menottée. Là, le psychiatre va venir. Mais toi, on a jamais vu ça et l’alarme a été déclenchée. Regarde les gars arrivent. Couche-toi au sol c’est le mieux  ». J’ai plutôt confiance en elle et je l’ai crue. Je me suis retournée vers l’autre bout du couloir. À 20m, derrière la grille, il y avait 5 mecs. Je leur ai crié : « Qu’est ce que vous voulez ? ». Il m’ont dit « Rentre dans la pièce » et je suis retournée calmement dans la salle de téléphone. J’y suis restée presque une minute à les attendre. Je les entendais, de plus en plus nombreux. Je suis ressortie en leur disant «  Vous attendez les casqués ? Y’a pas besoin… ». Ils étaient plus de 20. La chef de détention, Sylvie, a traversé leur groupe et a franchi la grille en leur disant de rester derrière. Elle est venue seule vers moi et m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu en une phrase et l’ai tout de suite suivie pour qu’elle me mette en cellule. […]

Mercredi 21, 7h : Bon c’est l’équipe de jour qui va prendre le relais. Cette nuit, ils n’ont rien voulu comprendre. À minuit et ½, ils ont tapé sur la porte au point de réveiller la voisine. Trois fois, ils sont venus à au moins 5 pour me foutre la lampe torche dans les yeux. Mais ce n’est pas allé à l’affrontement.
Bah, du coup, j’ai bien eu le temps d’observer les rats (très nombreux) qui baladent sous la fenêtre, tant la nuit que le jour. 100 % des fenêtres de la MAF sont fermées par un grillage, soit disant pour qu’on ne les nourrisse pas, mais ça ne change rien. Moi, en tant que rurale, ça ne me gène pas du tout, au contraire : je vois du vivant sans uniforme ! J’aimerais bien essayer d’en apprivoiser un…

Je raconterai ça plus tard…
À la prochaine
Christine u’il n’avait rien pu lui donner car elle était trop énervée. Comme je n’ai pas de raisons de le croire, j’ai crié pour appeler K. Mathieu m’a dit « vous parlerez mieux à la porte ». Je savais que c’était pour me faire rentrer mais j’ai accepté car j’espérais qu’elle serait d’accord pour m’écouter. Ils m’ont même ouvert la porte et j’ai tenté de lui parler à travers la grille. Mais elle était super énervée, criant et tapant la fenêtre, inaccessible à la moindre discussion, murée dans sa colère et sa douleur. Quand je lui ai dit qu’il fallait qu’elle pense aux bébés dans le bâtiment, elle a gueulé «  le mien de bébé, il est au cimetière ! ». Je ne pouvais rien faire, j’en étais dégoûtée et j’ai accepté de rentrer dans ma cellule. Je savais qu’elle cherchait à aller en HP et ça me rendait très triste de la voir se détruire.

A 18h30, ils sont venus équipés pour la menotter et bien qu’ils en aient trop fait, elle n’a pas réagi violemment. En fait, elle était contente d’être calmée de force et d’aller à l’hosto. Mathieu m’a confirmé que j’aurai le tél le lendemain avec ma famille. Vers 23h, ils l’ont ramenée et j’étais contente qu’elle ne soit pas en Hospitalisation d’Office. Mais ces salauds l’ont remise dans sa cellule pleine d’eau sale, sans couverture ni tabac. Je les ai suppliés de la mettre en cellule propre ou de me laisser passer la raclette mais rien à faire. C’est vrai qu’elle était assez calme à cause de la piqûre mais de m’entendre m’énerver l’a remontée. Et c’est reparti pour 1h de tapage au milieu de la nuit pour réveiller tout le bâtiment. Ce salaud de chef qui avait refusé de l’accueillir proprement est venu voir : il s’est fait envoyer paître. Puis, entre minuit et 1 heure, la fatigue l’a gagnée (et la piqûre) et elle s’est calmée. Moi j’ai peu dormi entre colère et tristesse.

Le lendemain, jeudi donc, j’ai expliqué dès 8h aux surveillantes qu’on ne pouvait pas la laisser comme ça, qu’il fallait au moins lui apporter un café chaud et que je lui passais du tabac. Elles ont compris, mais se sont réfugiées derrière le sempiternel « on ne peut rien faire sans l’ordre du chef… qui n’arrive qu’à 9h ». Alors, je leur ai mis 9h comme ultimatum. Mais à 9h, rien. Comme c’était plus calme depuis 5h du mat’ je lisais un récit d’un espagnol des années 80-90 qui racontait les revendications soutenues par des séquestrations de matons et les FIES [1] qui avaient suivi. Alors, j’ai dit à l’interphone : «  vous vous en foutez hein quand on vous parle calmement . Eh ben venez avec vos boucliers pour la promenade, parce que il y a de la prise d’otage dans l’air ! ». Bien sûr, je n’avais aucun moyen de prendre qui que ce soit en otage : ils sont toujours plus nombreux que moi et je n’ai pas d’armes. Mais s’ils venaient équipés, ils n’auraient pas d’excuse de ne pas sortir K. le temps de nettoyer sa cellule. J’ai renouvelé la menace à 10h quand j’ai demandé quand était ma promenade à l’interphone et que la matonne a dit « ça sert à rien de crier » ; j’ai crié « non, ça sert à rien de crier, mais ça sert à rien non plus de parler, y’a qu’avec une prise d’otage que vous nous écouterez ! ».
A 10h30, ils sont venus à quatre, dont Wattel et la matonne avec qui j’avais discuté calmement à 8h, Mme Robert, et le toubib. K. l’a envoyé chier. Moi dans la cellule ouverte comme je lui ai appris, je l’ai engueulé de sa complicité face à la maltraitance que subissait K.. Il en a vite eu marre et est ressorti. Je l’ai suivi dans le couloir où étaient les bleus pour continuer à lui dire qu’on chopait des mycoses les pieds dans l’eau et qu’elle n’avait rien mangé depuis 24h. Quand il s’est approché de la porte pour sortir du QD, j’ai crié en faisant un pas en avant (j’étais au seuil de ma porte) «  Eh toi, tu restes là ! J’ai dit que je faisais une prise d’otage ! ». La menace était ridicule et je n’avais touché personne, mais les 4 se sont rués sur moi et j’ai été coincée contre le mur. Je leur ai dit « calme, calme, je ne bouge pas » et la pression physique s’est relâchée mais ils avaient déclenché l’alarme. Quand la cavalerie est arrivée, je bloquais la grille assez facilement et ils étaient 4 à pousser et à se pousser dans le sas. Mme Robert était en première ligne car elle voulait calmer le truc. J’avais déjà accepté l’idée de ne pas aller en promenade, mais je voulais la promesse de Wattel que j’aurais le tél à 11h. La matonne était compressée par ses collègues et ça se voyait qu’elle avait mal. Quand Wattel a promis, j’ai retiré le pied et suis rentrée.
[…] Toute l’après-midi, j’ai appelé à l’interphone, toutes les demi-heure pour leur dire de venir avec le toubib, à chaque fois sans crier. J’ai crié pour dire aux filles du bâtiment ce qui se passait ici mais aucune n’a réagi.
Vers 15h15, ils ont enfin emmené K. à l’UCSA, sur un fauteuil roulant, menottée devant. Elle est revenue ¼ d’heure après, avec une ordonnance de radio, sans plus. Ils n’avaient toujours rien déposé dans sa cellule.
A 16h30, l’heure habituelle de ma promenade de l’après-midi, ils ne sont pas venus. J’étais super en colère mais n’ai rien fait. Dans l’après-midi, je les avais entendu bouger mes cartons dans la cellule à côté et j’avais pensé au transfert mais vu l’heure qui avançait, je me suis dit que je me faisais des films.
Vers 17h, les casqués sont arrivés, […] J’ai demandé si j’allais en garde à vue, si je devais prendre tabac et documents et il m’a dit que ça suivrait. C’est là que j’ai compris qu’on allait à la MA de Lille – Sequedin. Ils m’ont menottée dans le dos et je me suis laissée faire. J’ai quand même gueulé un « au revoir, les filles, je change d’air »
[…] Dans l’équipe du transfert, il y avait B······ [2] qui se régalait de me voir entravée, menottée dans le dos et en cellule. Il a continué à faire les gros bras devant ses collègues d’ici. À Bapaume, comme ailleurs, j’avais refusé la photo et la prise d’empreintes et c’était passé. Là, B······ m’a prise par la gorge et les cheveux contre le mur et je n’ai pu que fermer les yeux et ouvrir la gueule. Idem pour l’empreinte à force de torsion du poignet mais je ne crois pas qu’elle sera utilisable (« On n’aura pas mieux » ai-je entendu). Alors que j’avais accepté la fouille à nue à Bapaume, ils m’en ont fait une autre ici. Comme ils étaient nombreux et que des mecs, ils m’ont dit : «  Tu te mets face au mur et tu ne te retourne pas. C’est bien compris ? Tu te désapes sans te retourner. C’est clair ? » J’ai obtempéré pour éviter la palpation mais j’ai obtenu mon tee-shirt avant de retirer le pantalon et n’ai pas tendu mes sandales qu’ils ont du ramasser eux-même. Puis traversée de la MA « libre » entre six matons d’ici, après avoir donné RDV à B······ le 19 septembre à Arras (en discutant avec ces potes d’ici, il a dit «  Maintenant j’habite à 1km du taff »). […]


SEQUEDIN,
mardi 30 juillet

[…]Ce matin, vers 10h30, une autre toubib est venue. Comme son collègue, elle a refusée une consultation honnête. […] C’est la chef de détention (Sylvie ? Sophie ?) qui m’a ouvert pour la promenade à 14h30. […] Je lui ai redit, très calmement, que je ne rentrerai que lors de la visite médicale. J’avais un peu d’espoir car elle avait géré un conflit qui aurait pu dégénérer le dimanche, alors qu’une brigarde refusait que j’amène un livre en promenade (alors que c’était passé avec elle le vendredi et le samedi). J’avais dû bloquer la grille, heureusement sans blessé. Mais là, quand elle est revenue à 15h30 pour la fin de la promenade, elle avait déjà fait équiper 4 gars avec casques et boucliers. Ça a été l’assaut le plus violent de mon histoire pénitentiaire. Ils m’ont délibérément envoyée plusieurs coups de poings au visage pendant le menottage. Puis, ils m’ont cogné la tête dans chaque angle de murs sur le trajet du mitard. À Joux, l’arcade s’était ouverte et les avait immédiatement calmés. Mais là, elle a tenue. Ils m’ont dé-menottée sous le lit, en tordant doigts et poignets, comme d’habitude. […]
La douleur est presque passée, j’ai juste une gène au doigt tordu. Je sens une bosse au front, mais ne peux pas savoir si c’est devenu bleu.
Demain matin, c’est le jour de la douche. J’irai et bloquerai encore au retour s’il n’y a pas le toubib. Je n’ai maintenant plus d’espoir de respect, mais celui que la résine coule : ça les calme très vite et les fait appeler l’UCSA ou le 15.

SEQUEDIN,
samedi 3 août

Jusqu’ici, quand je m’affrontais à l’AP, je risquais des coups et du mitard, mais je pouvais m’appuyer sur la loi pour me garantir une certaine sécurité mentale. Là, il n’y a plus de garde-fous et ça me fait peur. C’est en partie de ma faute car j’ai entamé une grève de la faim, alors que je m’étais toujours opposée idéologiquement à ce mode d’action dangereux.
[…] Le mercredi matin, c’était le jour de douche et de retour de WE du chef de bâtiment. Il m’a demandé ce qu’il s’était passé et m’a dit de me préparer pour la douche et la promenade. Je lui ai répondu que j’étais tout à fait d’accord, mais que comme la veille, je ne rentrerai volontairement qu’après une visite médicale. Il est reparti puis est revenu avec un chef ++ (chemise bleue claire). Lui m’a dit que pour aller à la douche, je devais subir la fouille par palpation. J’en ai rigolé tant c’était ridicule : la douche est au QD et je ne croise aucune fille. En plus, si je ne m’abuse, la loi interdit les fouilles systématiques non justifiées. J’avais, par apaisement, accepté le passage à la « poêle » électronique au retour de promenade jusqu’à la veille (négociée par une fouille à nue à la 1ère promenade, le vendredi). Il a gueulé «  palpation ou rien ! » et est parti en disant que je n’aurais rien ce matin là. J’essaye d’avoir quelqu’un à l’interphone à partir de 11h pour la promenade, mais rien. Quand le chef de bâtiment m’apporte la gamelle, il me dit que je verrai le médecin vers 15h. Effectivement, il est là à 14h30. Mais il me dit «  Je vais vous examiner dans une salle spécifique, mais des surveillants resteront avec nous ». Je lui réponds très poliment que c’est impossible, que ce sont eux qui m’ont agressée, qu’il doit me faire confiance, que je ne l’agresserai pas et qu’il a dit le serment d’Hippocrate. Il discute 5min, puis part (« Je vous laisse réfléchir »). Je l’appelle, en pleurs, mais il ne revient pas. Plusieurs fois dans l’après-midi, je demande à la surveillante à l’interphone de m’écouter, de trouver une solution. Ça fait 36h que je suis dansa  cage, presque nue car les vêtements ont été mouillés et salis lors de la contention. Malgré la loi, ils me privent de douche, de promenade et visite médicale. Quand le chef amène la gamelle à 18h30, je suis au 36ème dessous, dégoûtée par le mépris. Il fait semblant de discuter mais c’est juste pour que je lui remette le lacet qu’ils m’ont laissé la veille avec une chaussure et ma boîte d’allumettes. Je me calme grâce au courrier des copains, reçu de l’alpage et remets mon projet de feu (j’avais planqué des allumettes et un grattoir dès le 1er soir). […]
Le jeudi matin, à 7h, […] je retente de demander calmement un médiateur (la chef de détention par ex), mais on me dit juste que la chef viendra plus tard (pour le repas donc). Ça fait 3 jours que je parle très calme (sauf la crise de pleurs mercredi soir, mais où je n’ai insulté personne), que j’essaye de trouver des solutions, et ils me font tricarde. Je n’ai plus le choix : malgré les conseils des copains, je dois me faire blesser pour avoir enfin un toubib et lui expliquer. Je fous donc le feu aux barquettes en plastiques de quatre repas précédents, sans que ça ne représente un danger pour mes codétenues et leurs bébés. Bien sûr, ils arrivent équipés pour me foutre dans le mitard d’à côté. Malgré les coups de poings (ça doit être le protocole ici !), l’arcade tiens bon : et merde ! Mes vêtements sont mouillés par l’extincteur et la cellule complètement vide sauf le matelas. Je demande mes affaires à l’interphone qu’ils raccrochent immédiatement. À midi et ½, c’est la chef de détention, que j’accueille nue. Elle n’a aucune affaire pour moi. Je sais qu’il peuvent me faire tricarde comme ça jusqu’au 17 août, la date de fin de sanction décidée à Bapaume. Pour accélérer, il faut donc se mettre en grève de la faim. J’y ajoute une grève de la parole puisque, quoi que je dise, quel que soit le ton, je ne suis pas entendue. […] Le toubib et une responsable SMPR [3] sont venus me voir vers 17h, alors que je ne les espérais plus. Comme le chef le matin, ils m’expliquent qu’ils n’y peuvent rien, que c’est l’AP qui décide. Je leur réponds par petits papiers que c’est des menteurs puis mets fin à ce faux entretien à travers la grille. C’est toujours le même chef à 18h30, qui se pointe pour que je refuse la gamelle, il aimerait que je lui parle mais me refuse mon tabac. Par contre, j’ai enfin le reste de mon paquetage resté au mitard à Bapaume.
[…] Je sais que je ne verrai rien ni personne cet après-midi. Et que ça sera pareil demain. Sauf que ça fera 3 jours que je refuse la gamelle et qu’ils devront prévenir la DI [Direction Inter-régionale de l’AP].
La revendication posée pour l’arrêt de la grève (de la parole et de la faim) c’est que je puisse discuter, dans l’ordre où ils veulent avec :
mon avocate par téléphone
un médecin dans des conditions de consultation
un représentant de la direction, quel-qu’il soit et même à travers la grille
Je sais par une amie  qu’une grève de la faim peut durer 2 semaines avant qu’on soit abîmée et je tiendrai.
À moins qu’ils me collent au QI comme à Joux, il faudra qu’ils lâchent le 17 août quand je serai de retour en bâtiment et en promenade collective. Ça va être long… !
Salut ! Y Viva la Lucha !


SEQUEDIN,
samedi 10 août

Ma situation s’est débloquée jeudi vers 16h. Immédiatement, j’ai mangé le plat de lentilles mis de côté (j’avais de l’espoir) à la gamelle de midi. J’avais repris à parler depuis mardi 14h, aux premiers prémices.
Voilà ce qui s’est passé :
[…] Mardi,5ème jour de la grève, même si le chef du jour (le chef de bâtiment) est un peu moins con que la brigade du WE, je n’ai ni promenade ni téléphone. Mais il me passe mon guide de l’OIP et j’ai la référence des textes qui interdisent la fouille systématique et je lui fais passer.
À 17h30, je vois le big boss (il paraît que c’est exceptionnel qu’il voie un taulard) et la chef de détention des premiers jours, Sylvie. Il me dit que je verrai dorénavant les médecins correctement (s’ils le demandent) et que, puisqu’on n’est pas d’accord sur l’interprétation de la loi et que je ne dispose que d’un livre «  fait par des crétins qui n’y connaissent rien », il va me faire passer demain les textes en question. En signe d’apaisement, Sylvie me file deux clopes à elle et me les regarde fumer en discutant calmement. Elle m’en laisse aussi une pour le lendemain matin. Moi, je lui donne deux allumettes coincées dans la poche depuis jeudi (elles ne me servent à rien, je n’ai pas de grattoir). J’ai aussi des livres de la biblio demandés depuis lundi matin.
À 17h, le mercredi, c’est le chef de bâtiment. Il m’allume bloqué sur sa putain de palpation. Toute la matinée, j’attends les papiers promis par le dirlo en trépignant. À 10h, la même toubib pétocharde qu’hier vient, mais n’ouvre pas la grille car elle n’aurait pas encore reçu la consigne . À 11h30, il amènent au mitard une fille en lui faisant mal, elle est dans le même état que K. et on ne peut pas discuter. À midi la toubib revient et ouvre la grille. Cette pétocharde s’est faite accompagner par un infirmier SMPR bien costaud, mais le rendez-vous est correctement fait. « Mais on ne vous connaît pas… », « Ben justement ! ». Je les envoie chez la voisine qui hurle qu’elle a mal.
[…]À 16h, le directeur vient enfin avec les papiers. Je lui demande de revenir dans une heure quand je les aurai étudiés. Il me dit qu’il est dans les clous puisque les fouilles à chaque sortie de cellule des 900 personnes enfermées ici sont justifiées par le risque de trafic J’aurais aimé manger ce soir, mais je veux pouvoir étudier les textes sans le laisser mentir. Il dit qu’il reviendra demain (il paraît que c’est encore plus exceptionnel 3RDV comme ça en 3 jours , je suis VIP !), je lui demande de venir le matin (pour manger à midi), mais il reste le Big Boss et me dit « je viendrai quand j’aurai le temps ».
Jeudi, […] le dirlo arrive à 15h30. J’avais préparé mon exposé, comme une bonne élève. La seule chose que je sens qui fait mouche c’est quand je fais, sur le ton de la confidence psy, le parallèle entre palpation et viol, puis viol et autorité et que j’explique en quoi la fouille à nue (sans contact et où les deux parties sont mal à l’aise) est moins humiliante. Il se retire avec Sylvie et reviennent 5 min plus tard me dire que je peux aller au tel. Je n’ai aucune fouille, il n’y a que la chef de détention et le chef de bâtiment de visibles. J’appelle non seulement mon avocate, en lui demandant une visite, mais aussi mes parents pour les rassurer. Puis je vais en promenade. Assise torse nu au soleil, je savoure la barquette de lentilles ! Ils m’ont aussi donné des allumettes, avec le protocole que je leur ai expliqué (une boîte avec un chiffre donné, puis comptage au retour des brûlées et des soufrées).De retour en cellule, j’ai la barquette. Ça y est, c’est calmé !
À la gamelle, le chef me demande si je suis contente. Je lui explique que je n’ai pas à être contente d’en avoir tant chié pour que la justice règne enfin. Il me dit que j’ai eu raison de parler du tripotage et de ce que j’en ressentais, je lui réponds que c’est un discours de voyeur malsain. Il ne comprend pas pourquoi on n’est pas potes… Moi je mange la moitié de la gamelle et m’endors le ventre plein dès 19h30. Ouf !
[…] L’essentiel pour moi est gagné : visite du médecin en vis à vis et pas de tripotage . […] J’ai appris aujourd’hui que le dirlo avait pondu une note à mon sujet disant :
pas d’ouverture de la porte (je dis bien la porte pas la grille !) sans un(e) brigard(e)
fouille électronique sans contact, mais face au mur
effectif renforcé lors des promenades : au moins 1 brigard et 6 en tout
une seule promenade par jour
contrôle œilleton toutes les heures en journée et quatre fois par nuit
Je ne sais pas comment ils comptent revenir à la normale en une semaine… Soit ils y arrivent et tant mieux, j’irai en bâtiment. Soit ils vont me coller au QI sans raison ces salopards…


SEQUEDIN,
mardi 20 août

Je suis sortie du mitard ce WE. Pas originaux, ils m’ont collé direct au QI, comme à Joux.
Ils ont justifié ça par le dossier disciplinaire, ce QI n’est pas valable. En vrai, ils ne veulent pas que j’aille en bâtiment où les filles (et les mecs aussi d’ailleurs) se font tripoter avant chaque promenade. Ils savent que je refuserai la palpation et n’ont pas envie de me cogner dessus à 10 contre un devant les filles qui pourraient être choquées et du coup (oh horreur !) solidaires.
[…] Hier, lundi, [ma voisine de QD] passait au prétoire. Moi j’étais dans la salle où il y a le téléphone, à une dizaine de mètres. J’ai entendu qu’ils la rentraient de force, elle criait qu’elle avait mal. Forte de l’expérience passée et de la promesse du psy, elle pensait que ça s’arrêterait là, mais ils lui ont mis 30 jours ! Devant leur violence (4 matonnes étaient arrivées en courant au QD en plus), j’ai cogné sur la porte de la salle. Bizarrement, en quatre coups de pied, j’ai fait péter la serrure et me suis retrouvée dans le couloir qui donne d’un côté sur le QD de l’autre sur le QI et de l’autre sur la rotonde et l’accès à la grande promenade. Je suis allée vers le QD, il y avait 6 matonnes derrière la porte, dont la directrice. Une brigarde moins conne que la moyenne m’a dit : « Je t’assure qu’on ne l’a pas cognée, je ne l’ai même pas menottée. Là, le psychiatre va venir. Mais toi, on a jamais vu ça et l’alarme a été déclenchée. Regarde les gars arrivent. Couche-toi au sol c’est le mieux ». J’ai plutôt confiance en elle et je l’ai crue. Je me suis retournée vers l’autre bout du couloir. À 20m, derrière la grille, il y avait 5 mecs. Je leur ai crié : « Qu’est ce que vous voulez ? ». Il m’ont dit « Rentre dans la pièce » et je suis retournée calmement dans la salle de téléphone. J’y suis restée presque une minute à les attendre. Je les entendais, de plus en plus nombreux. Je suis ressortie en leur disant «  Vous attendez les casqués ? Y’a pas besoin… ». Ils étaient plus de 20. La chef de détention, Sylvie, a traversé leur groupe et a franchi la grille en leur disant de rester derrière. Elle est venue seule vers moi et m’a demandé ce qui se passait. Je lui ai répondu en une phrase et l’ai tout de suite suivie pour qu’elle me mette en cellule. […]

Mercredi 21, 7h : Bon c’est l’équipe de jour qui va prendre le relais. Cette nuit, ils n’ont rien voulu comprendre. À minuit et ½, ils ont tapé sur la porte au point de réveiller la voisine. Trois fois, ils sont venus à au moins 5 pour me foutre la lampe torche dans les yeux. Mais ce n’est pas allé à l’affrontement.
Bah, du coup, j’ai bien eu le temps d’observer les rats (très nombreux) qui baladent sous la fenêtre, tant la nuit que le jour. 100 % des fenêtres de la MAF sont fermées par un grillage, soit disant pour qu’on ne les nourrisse pas, mais ça ne change rien. Moi, en tant que rurale, ça ne me gène pas du tout, au contraire : je vois du vivant sans uniforme ! J’aimerais bien essayer d’en apprivoiser un…

Je raconterai ça plus tard…
À la prochaine
Christine

Extraits de lettres ( janvier/avril 2013)

Depuis son incarcération, Christine a eu de multiples embrouilles en détention. Elle a été placée au mitard (QD ou Quartier Disciplinaire) et au QI (Quartier d’isolement). Elle a été transférée de La Talaudière à Corbas (Lyon) puis à Joux-La-Ville. Aux dernières nouvelles, elle est maintenant à Bapaume, vers Lille (ses proches sont dans le sud !). L’accumulation d’altercations en détention risque d’alourdir sa peine, voire de la mener à nouveau devant les tribunaux.

Dans différentes lettres qu’elle a pu faire sortir de prison, elle raconte ses combats en détention et la répression féroce. Elle souhaite que ces lettres  soient diffusées auprès des groupes qui se préoccupent de ce qui se passe en prison, et publiquement.En voici de larges extraits.

• Jeudi 31 janvier, Corbas, QD

Ne reculant devant aucun défi pour vous fournir des infos fraîches et diverses, votre envoyée spéciale au pénitencier est maintenant au mitard à Corbas.
Je suis passée au prétoire (à la Talaudière) et j’ai pris quinze jours (de mitard) ferme et 8 jours avec sursis. Je ne croyais pas que six mois allaient s’écouler sans que ça me tombe dessus, même si l’idée était séduisante. J’ai donc appris que je serai transférée ce lundi 28 (il n’y a pas de mitard au quartier femmes de la Talaud).
Entre le prétoire et ce transfert, j’ai vu un OPJ au parloir pour m’auditionner sur « l’incendie du 28 novembre ». Il m’a dit que selon lui ce serait classé sans suite, mais on sait ce que ça vaut une parole de flic.
J’ai aussi eu un signalement au procureur le 19 décembre, suite à une prétendue bagarre avec une codétenue en promenade. Ça me fait beaucoup plus chier car c’est faux : on n’a pas échangé un seul coup et si, moi, j’ai été blessée, c’est par les gros bras en bleu qui m’ont sortie manu militari de la cour. J’ai donc fait un recours à la DI à propos de ce rapport pour que les infos contenues dans le dossier disciplinaire soient honnêtes si je vais un jour en procès pour ça.
Dimanche 27 janvier, à la promenade, je me suis à nouveau engueulée avec la même fille. Cette fois on a échangé des coups (J’en ai pris plus car elles étaient à 2 contre moi). Bien sûr c’est moi que les bleus ont remonté en cellule, menottée dans le dos. Après m’être calmée, j’ai demandé à téléphoner, comme j’y ai droit. En fait, la surveillante ne voulait pas m’ouvrir sans un surnombre de matons comme ils me le font souvent, malgré l’accord avec la direction le 15 novembre. (…) L’auxi peut témoigner que j’étais calme. Mais les matons m’ont foutue au sol le temps de mettre en cellule le repas dans une barquette en plastique. J’ai dit : « je veux juste téléphoner, j’y ai droit, de quoi avez-vous peur ? Je ne me débats même pas ». Mais ils m’ont refoutue en cellule et je n’ai pas pu bloquer la porte. J’étais furax et j’ai glissé du papier journal sous la porte pour l’enflammer, comme je l’ai souvent pratiqué. (…) Ils ont ouvert la porte, l’un d’eux avait un extincteur. Il ne s’est pas contenté d’asperger la porte mais m’a délibérément aspergée. J’étais en train de respirer à la fenêtre. Je suis allée vers eux en gueulant : « Tu t’amuses bien ? » Ils ont essayé de la refermer mais je l’ai bloquée avec le genou. Ils se sont alors énervé et m’ont foutu au sol, dans la neige carbonique. Ils m’ont menottée dans le dos en me faisant vraiment mal à l’épaule et en serrant très fort. Depuis leurs cellules des filles criaient : « Salauds ! Lâchez-la ! On t’a entendu dire que tu allais lui casser le bras ! » Il m’a demandé de dire aux filles de se calmer mais j’ai refusé, demandant juste à ce qu’il lâche l’épaule. Je suis restée au sol sous ce mec le temps qu’ils vident entièrement la cellule (fringues, bouquins, poubelle, table…) puis ils m’y ont refoutue en le laissant un doliprane sur l’évier. Elle était trempée et noire de papiers brûlés, moi j’étais trempée et mal en point.
(…)
À 7h du matin, (quand ils ont ouvert), je suis allée vers la cabine. Mais ils m’ont dit que je téléphonerai après la douche. J’ai accepté car j’en avais vraiment besoin. Quand je suis (retournée dans la cellule), ils en ont profité pour claquer la porte. (…) J’ai gueulé « Vous aviez dit que je téléphonerai après ! » et ils ont répondu « Ben ouais, après, tu téléphoneras après… Allez, bon QD ! » ET un de ces s… rigolait en disant : « Ben quoi, tu chiales Ribailly ? », alors que je répétais, à bout de nerfs : « T’avais dit ! ». (Puis Christine a été transférée vers Corbas.)
Entre 7 et 9h, toutes les filles qui sont passées ont vu mon bordel dans le couloir et la crasse sous la porte. Beaucoup ont été choquées et m’ont gueulé quelques mots de solidarité. J’ai aussi eu un yoyo de mon propre tabac qu’elles ont pris dans ma veste, sur le tas. (…) Hier j’ai vu le toubib dans le cadre de l’accueil arrivante au mitard. Elle m’a fait un certificat médical avec 3 jours d’ITT. J’aimerais déposer plainte pour abus de pouvoir et violences. Pensez-vous que c’est possible ? Voulez-vous m’y aider ?
Bon, après ça j’étais remontée à bloc pour faire face au mitard. Ils ont du le comprendre car ils ont eu une toute autre position qu’il y a deux ans. Au greffe, ils se sont contenté d’un « Non ! » quand ils m’ont demandé la biométrie. J’ai pu avoir mon tabac à la porte de la cellule. J’ai vite eu des bouquins et de quoi écrire. Grâce à la réforme, j’ai même une petite radio. (…) Du coup, libérée de la peur qu’ils me psychiatrisent, je vis bien mieux le mitard que je ne le craignais. (…) J’écris beaucoup (vous voyez), je fais des séries de pompes et abdos. Je dors bien. (…)
Qu’est-ce que vous ne savez pas sur le QD de la MAF (Maison d’arrêt pour femmes) ? Il y a trois cellules, 2 cours goudronnées de 6×8m cernées de murs ou grilles de 3 ou 4 mètres de haut, et au plafond tellement tapissée de barreaux, grillage serré et rouleaux de barbelés que j’imagine que la neige ne passe pas (En tous cas le soleil, c’est sûr, n’atteint jamais le sol). (…)

• Mardi 5 février, Corbas, QD

(…) On m’a fait signer mon transfert prochain pour Roanne. Perso, je sais que, CD ou pas, ça ne changera rien pour moi car je serai en secteur fermé. J’espère aussi que la peine que je vais récupérer mercredi prochain ne sera pas de plus de un an. Ainsi, la confusion de peine aurait des chances d’aboutir et je resterai peut-être à la Talaud, où je suis arrivée, tant bien que mal, à établir un mode de relation assez sain avec la matonnerie. Tout ce que je vous raconte est fait pour être diffusé.
Comme je vous fais des lettres détaillées pour chaque histoire, j’ai dit aux potes de Radio Canut (Lyon), La Haine des chaînes (Marseille), Les murs ont des oreilles (Grenoble) ou Radio Méga (Valence) et Papillon (Saint-Étienne). Je pense aussi à Rebellyon et Jura Libertaire. Faites-vous un pool commun des infos, analyses, récits et autres et rediffusez chacun sur vos réseaux, c’est fait pour ça !
Dans ma lettre où je racontais l’altercation du 27 et 28 janvier à La Talaudière, j’avais joint le mot d’une co-détenue qui se disait outrée du traitement qu’on me faisait subir et prête à bouger pour que ça change (elle parlait d’alerter les médias). J’ai deux autres lettres de filles qui m’ont écrit ici et qui disent à peu près pareil. (…)
Ici j’ai découvert une cellule encore plus flippante que le mitard. Voilà ce qui s’est passé. Avec le lieutenant, toute la semaine, ça s’était pas mal passé, malgré le sureffectif constant (me surveillant). On ne fait pas semblant d’être potes, mais il fait ce à quoi il s’est engagé et a compris que son intérêt était le même que le mien : que j’obtienne des réponses à mes mots dans un délai correct. Il a même institué sans que je lui demande la douche quotidienne, deux promenades par jour et plusieurs appels téléphoniques par semaine. Bref, j’avais pris mon rythme. Mais l’équipe de ce week-end a voulu changer la donne. (…) Dimanche, ça a été encore plus tendu : ils m’ont mis à la promenade dès 8 heures du matin, alors qu’il faisait presque encore nuit. Puis ils m’ont refusé la douche alors qu’ils me l’avaient proposé le matin. À midi, ils n’ont pas ouvert la grille pour me passer la gamelle. Alors le soir, quand j’ai vu qu’ils n’ouvriraient pas plus, je leur ai dit : « Si, vous allez ouvrir ! » et j’ai enflammé une feuille de papier journal. Ils ont refermé la porte en laissant la gamelle dans le sas, hors accès. (…) Puis est venu un lieutenant pour calmer le jeu. Je lui ai expliqué que je refusais d’être servie comme un clebs au chenil et que je lui donnerai le briquet en échange du repas quand il aurait ouvert la grille. (…) Il m’a dit que je grillais mes chances d’avoir le parloir interne que je réclamais, alors que la direction avait émis un avis favorable. Je me doutais bien qu’il mentait, mais je ne voulais pas prendre de risque, alors je lui ai donné le briquet. Il est parti aussitôt, sans ouvrir le sas, et sans même me donner la gamelle. Dix minutes après, ils étaient 6, avec casques et boucliers, pour me menotter. Cassée en deux, ils m’ont menée à travers toute la MA. Je n’ai pas bien compris où on allait mais on a repris le souterrain. Ils m’ont accroupie au fond d’une cellule pour me démenotter après m’avoir pris lunettes et baskets. J’ai demandé où on était et ils m’ont dit « aux arrivants ». Mais la cellule n’avait rien d’une cellule d’arrivants. Je sentais la patte de l’architecte pervers de la chambre de l’UHSA. Lit, table, tabouret, tout était en béton. La télé était protégée par un plexiglass, tout comme la fenêtre, impossible d’accès. Il n’y avait pas de draps, juste deux couvertures en tissus. Même la télécommande était incrustée dans le mur (et ne marchait pas). Une grande surface était prise par la douche et le chiotte. L’évier en alu comme au mitard, sauf qu’il n’y avait pas de robinet, juste un jet d’eau pour boire. Tout était super propre, lisse. J’ai vu un petit sac sur la table : il y avait une affichette. « Vous êtes en souffrance. Il est nécessaire de vous aider. Ce kit fait partie du protocole d’aide. Le pyjama est aéré pour un plus grand confort. En cas de détresse, faites appel au surveillant, votre premier interlocuteur ». Et un pyjama bleu, comme en HP. J’ai eu peur, j’ai pensé qu’ils m’avaient hospitalisée au SMPR, que j’étais en HO (hospitalisation d’office) sans avoir vu de toubib. J’ai appelé mais personne n’a répondu. Une demi heure plus tard, comme j’avais bouché le judas avec l’affichette, ils ont cogné à la porte, joué avec la lumière et appelé à l’interphone. J’ai décidé de ne pas répondre, comme eux. (…) Ils ne voulaient pas rentrer, juste mater. (…)
À 9h le lendemain, j’avais faim et envie de fumer. J’ai fureté dans la cellule pour faire quelque chose. On ne pouvait rien casser, pas appeler. La fenêtre donnait sur une cour intérieure, un toit en fait, où jamais un humain n’est allé. Tout était arrondi, lisse, aseptisé, c’était franchement flippant. Au plafond il y avait une demi-sphère en alu poli pour faire miroir depuis le judas et ne laisser aucun espace sans vue (même collé à la porte). C’était vraiment de l’incitation au suicide, par sa volonté affichée de le rendre impossible. La frustration, même pour moi qui ne veux pas crever, était à son comble. (…) Enfin vers 11h, j’ai entendu une surveillante me dire que j’allais voir un médecin. J’ai pris une grande inspiration et accepté. Ils étaient au moins douze dans le couloir ! L’entretien a été assez court quand elles ont compris que j’étais en colère et pas suicidaire. Elles m’ont dit le sigle de la cellule, mais je ne m’en souviens plus, il y avait un P comme « protection » et elle est effectivement au quartier arrivant. (Puis Christine a été ramenée à la MAF.)
J’imagine le pauvre gars, tout juste sorti de garde à vue et enfermé dans cette cellule d’incitation au suicide lors de sa première arrivée à la rate. La façon la plus ignoble de lutter contre la surpopulation ! Elles sont belles, les règles européennes. (…)

• Dimanche 10 février, QD de Corbas

Demain je dois retourner à la Talaud. (…)
Excédée par le refus de parloir interne (avec son compagnon, incarcéré aussi à Corbas), j’ai essayé encore de revendiquer vendredi.
Sanction immédiate : plus de lumière et plus d’allume-cigare (bien sûr, pas de briquet en cellule). (…) Je vous joins la lettre que j’ai écrite à la direction :

Quand on se targue d’apprendre aux autres à respecter la loi, il faut d’abord, par cohérence, à défaut d’honnêteté, la respecter soi-même. Or :
J’ai été quinze jours au QD, trois lundis, et vous ne m’avez permis qu’un seul parloir.
J’ai signalé dès l’arrivée au médecin que j’avais une ordonnance pour de la kiné hebdomadaire et il n’y a eu aucun suivi.
Je n’ai pas pu m’alimenter du dimanche 3 à midi au lundi 4 à midi (deux repas refusés).
Malgré sa demande du 30 janvier, mon avocat n’a pas obtenu son permis de communiquer.
J’ai été jugée en mon absence le 5 à Aix en Provence, sans que soit organisée d’extraction ou de visioconférence.
Je n’ai pu ni lire ni écrire ni fumer du vendredi 8 à midi au samedi 9 à 8h.
L’évier de la cellule du QD est bouché.
La télévision de la cellule d’incitation au suicide ne marche pas. Le flotteur des toilettes est coincé.
La première semaine, je n’ai vu qu’une fois le médecin.
Vous avez laissé nombre de mes courriers sans réponse et les gradés ont parfois refusé de répondre à mes questions.
La cage de promenade est cernée de murs si hauts et fermée par un grillage si serré que ni la neige ni le soleil ne l’atteignent. Où est l’heure de promenade obligatoire « à l’air libre » ?
Le courrier interne m’a toujours été remis en retard, ou pas remis du tout.
(…) Je continuerai à exiger le respect des lois (à défaut du respect humain qui vous est inaccessible).

• Dimanche 17 février, Joux, QD

Je continue mon tourisme pénitentiaire. Je suis maintenant en CD, près d’Auxerre.
(…) (À mon arrivée) j’ai accepté la fouille au corps et répondu au topo du chef : « Si vous vous tenez bien, ça se passera bien » par « Si vous me touchez pas, je me tiendrai bien ». Ils n’ont pas insisté pour les empreintes et ont fait une photo tête baissée et yeux fermés pour la carte de circulation. Puis je suis allée au mitard. (…) Il fait super froid en cellule et ma voisine, une jeunette toute maigre, en chie beaucoup. Depuis trois jours on réclame qu’ils viennent prendre la température, mais ils ne font rien. (…) Je me souviens avoir lu qu’un mitard avait été fermé après qu’un huissier ait relevé 14°C. Je suis sûre qu’il ne fait pas plus ici. (…)
Il y a deux mois, deux filles ont pris en otage une surveillante. Après 30 jours de mitard bien agités et une comparution immédiate (18 mois pour l’une, deux ans pour l’autre), elles ont eu le droit à un transfert disciplinaire, mais je ne sais pas où.

• Jeudi 21 février, quartier disciplinaire, Joux

(…) Des nouvelles du « frigo » :
Vendredi, alors que j’étais assez détendue, vu l’accueil moins militarisé qu’à Corbas, j’ai réclamé par écrit au directeur qu’il s’inquiète de la température des cellules. Même s’il m’avait promis, lors de la rencontre arrivant, de répondre à mes mots, je n’ai pas eu de réponse. Samedi après-midi, ma voisine a eu des crampes à force de se crisper contre le froid. Un infirmier de l’UCSA lui a donné un doliprane et lui a promis du Decontractyl (qui n’est pas arrivé). À chaque passage, on relançait la demande de prise de température. [1] Le lendemain vers 17h, elle s’est bloqué les reins. L’alerte a été vite passée par les filles (moi, on ne me répondait plus). Une surveillante l’a vue bloquée sur son lit et a dit qu’elle allait prévenir. Durant une heure, j’ai essayé de la calmer car elle paniquait (« je ne veux pas mourir ! »), s’engourdissant toujours plus. Vers 18h enfin, j’ai entendu qu’on ouvrait la grille. Il n’y avait que des matons et deux chefs. Ils voulaient la forcer à se lever et elle criait qu’elle avait trop mal. J’ai même entendu : « Arrêtez de pleurer ou on va se mettre en rogne ». Quand ils m’ont apporté la gamelle, je les ai engueulé de ne pas avoir appelé de médecin et ils m’ont répondu : « Mêle toi de tes oignons ». Alors j’ai mis le feu aux poubelles. Et j’ai pris un rapport d’incident (…)
Mardi matin, le technicien est enfin venu. Il faisait 15°C près du radiateur (dans le sas) et 13°C dans le coin le plus éloigné. (…) Le médecin qui venait pour la visite hebdomadaire m’a dit que la température d’une salle d’habitation normale était entre 19 et 21°C. On en est loin ! J’ai fait une lettre de plus (la troisième) au directeur. (…) Le prétoire [commission de discipline suite au rapport d’incident] aura lieu le mercredi 27, soit le lendemain de ma sortie de trente jours de mitard, ils pourront donc m’en remettre autant (il suffit de trouver des violences, c’est pas dur).

• Mercredi 27 février, quartier d’isolement, prison de Joux

(…) Vendredi, à 18h, le chef, Dinan, m’a fait passer la gamelle sans ouvrir. Je lui ai rappelé que j’avais fait un mot et que je voulais une réponse. J’ai dit « Il faut que je les appelle, c’est ça ? ». Il m’a dit de ne pas crier, qu’il allait voir lui-même. À 18h30, je met la lumière, une matonne me dit qu’il est monté à la rue. À 18h45 je me met à taper sur la grille, les filles m’engueulent mais je continue. À 19h comme il n’y a rien, je met le feu aux poubelles. Ma voisine de mitard ne tarde pas à appeler à l’interphone, c’est plus de la balance que du soutien, mais ça les fait venir. À 19h15 ils arrivent avec l’extincteur et noient littéralement la cellule, m’aspergeant par la même occasion. Quand ils veulent refermer la grille, je me précipite pour bloquer. Ça les énerve et ils me foutent au sol trempé, bien violemment, la tête sous leurs godasses. Je ne le sens pas tout de suite, mais l’arcade sourcilière a pété. Eux voient le sang et me tirent au sec dans le couloir où ils me maintiennent au sol mais sans faire mal. Après qu’ils m’aient menottée dans le dos et relevée, j’en dénombre pas moins de 25 dans la coursive. Le chef me nettoie la figure avec une serviette propre et déclare : « Ce n’est rien, le médecin va venir. Tu vas pouvoir rencontrer un médiateur aussi. » C’est facile, le pouvoir du sang ! Car ils m’ont déjà fait bien plus mal avec les clés de bras par le passé. (…) L’attente commence. Je parle calmement, sans crier, sans insulte, répétant que j’en suis à la troisième lettre à la direction. Tous me font le discours « si tu te calmes pas dans ton comportement, tu ne sortiras jamais d’ici, penses à tes parents au moins ». Ils sont repartis, certains sont au bureau pour faire le rapport comme quoi j’ai glissé sur le sol mouillé. Ceux qui sont en cellule se détendent petit à petit. Puis arrive une directrice qui me dit de me calmer alors que je suis parfaitement calme, même si je me balance car mes vêtements mouillés me donnent froid. Je lui refais le topo : demande de suspension de peine. Aucune réponse. J’apprends plus tard que c’est la directrice technique, bref, rien d’utile !
Puis arrive le toubib. Enfin, ils acceptent de me dé-menotter et je suis escortée d’une dizaine de matons à l’infirmerie. Il nettoie, met des strips et me donne 1g de Paracetamol. Voilà, au revoir. « Et j’ai mal au genou aussi ». Mais il est parti. (…)

(Christine passe la nuit dans la cellule pleine de flotte et de cendres, sans ses affaires. Le lendemain, la cellule est nettoyée et elle récupère ses affaires.)

En prenant mes chaussures pour la promenade, je récupère papeterie et tabac. Ils promettent les couvertures propres et m’allument une clope dans la cour. Je suis crevée, mais leur dit quand même « Bon, on est revenus au point d’hier soir : couvertures, mitard propre, tabac. Maintenant, je n’ai pas changé de discours, je n’y retournerai pas s’il n’y a pas de chauffage d’appoint. » À la promenade, je marche peu et finis par m’assoupir, assise accroupie. Ils sont 6, me chopent tout de suite, menottes dans le dos, retirées alors que je suis glissée sous le lit. « Et dis-toi bien que ce sera comme ça tous les jours. » J’ai le moral en berne. Ça va un peu mieux après la sieste et une clope à 16h (par la grille, bien sûr).
Dimanche, la réintégration est encore plus violente, avec un clé de bras dont je sens encore les effets aujourd’hui. Ils ne perdent pas de temps avec les menottes et me portent directement sous le lit. J’entends le chef de détention, Bacher, dire « Ne prenons pas de risque avec cette connasse ».
Le lundi, je suis extraite au tribunal de Lyon pour voir une juge d’instruction pour une plainte déposée il y a deux ans contrer l’administration pénitentiaire et l’UHSA. C’est super frustrant. 7 heures de camion en cellule de 0,3 mètre carré pour une demi-heure devant cette juge qui, escorte aidant, n’arrive pas à me parler comme à une « victime ». J’essaie de prendre le temps avec l’avocat, mais l’escorte veut rentrer et nous interrompt au bout de dix minutes à peine.
Quand je reviens, je les suis jusqu’au mitard où ils me disent de récupérer mes affaires. Je les range dans les cartons stockés dans la pièce en face puis demande « C’est où la cellule ? ». « Mais tu y es ! » Et voilà, j’ai fait 2m, je passe du QD (Quartier disciplinaire) au QI (Quartier d’isolement). Dans l’après-midi, ils m’amènent la convocation pour pour le débat contradictoire (ndlr : une mesure d’isolement est prise après une commission) du jeudi, mais je sais que c’est déjà joué, j’en ai pour trois mois au moins. Je réclame la promenade, c’est la même que les douze jours précédents, il n’y a que la trace de mes godasses dans la neige.
Il n’y a guère que le mobilier qui change : les chiottes sont séparées, le radiateur plus central, la chaise peut bouger (…) Comme la fenêtre n’a pas de grillage et que le mur (en face) est à 20m plutôt que 2, il y a un peu (on est en Bourgogne) de soleil. La température est environ de 16°C. J’ai accès au téléphone et à la douche tous les matins, soit deux fois plus qu’au QD. Les surveillants passent à 9h le matin. Et l’article D247 du CPP qui dit que la nuit sans ouverture ne peut dépasser 12 heures… Ouais, de 18h à 9h, ça fait combien ?
(…)
Le chef du quartier femmes, Dinan, m’a dit que le toubib avait eu un appel de l’OIP (ndlr : au sujet du chauffage en cellule) mais qu’il avait botté en touche. La technique, c’est pas lui, c’est Sodexo. Ce à quoi j’ai répondu. « Non, le respect de la loi, c’est vous. À vous de mettre la pression sur Sodexo ». Et là, pompon : « On le fait. Ils nous payent des amendes quand ils ne répondent pas à nos demandes ». En gros, merci les taulards de vous battre, vous enrichissez l’AP, et Sodexo l’a cool. Vive les Esquimaux !

• Samedi 23 mars, QI de Joux

(Christine raconte qu’elle envoie régulièrement des mots à la direction et exige des réponses, au sujet du fait qu’elle n’a pas rencontré la SPIP depuis son arrivée, qu’elle a demandé une négociation du prix de la télé avec Sodexo, une visite du médecin au sujet du suivi psy, et quand serait ré-examinée sa mesure d’isolement. Le vendredi 15, une chef et deux surveillantes sont venues lui parler en lui proposant de dialoguer pour apaiser la situation et en lui disant que les mots répétés à la direction ne serviraient à rien, mais que, elles, voulaient instaurer une « relation saine ». Malgré l’attitude moins « bienveillante » d’autres surveillantes, Christine espère que ce dialogue va apaiser la situation.)

Le samedi, à 18h, ils m’ont tendu le repas sans un mot, je l’ai pris et ai poussé du pied le sac poubelle bien fermé, pour qu’il franchisse le seuil de la porte. Là, le mec me l’a renvoyé d’un coup de pied. J’ai shooté dedans et il a éclaté dans le couloir. Ils en ont refoutu une partie en cellule et ont claqué la porte. Moi, j’ai repoussé les détritus contre la porte, ai caché l’œilleton et me suis mise à manger. Au premier passage à 19h45, la matonne a tapé, et je lui ai dit d’ouvrir, de ramasser ses poubelles, et qu’alors je déboucherais le judas. Elle m’a répondu « je t’ai entendu, ça suffit. T’as qu’à rester dans ta merde ». Pour le passage à 21h30, j’avais mis un mot sous la porte : « Cognez tant que vous voulez, ce sont les autres filles que vous réveillerez. Je vous demande juste que vous ramassiez vos poubelles puisque vous ne me laissez pas sortir les miennes ». Ça a cogné très fort à 22h30, moins fort à 1h30, 5h du mat’. Le lendemain dimanche, 7h, ils étaient plusieurs pour retirer le cache, sans un mot et sans prendre les poubelles. J’ai remis un cache aussitôt (sur l’œilleton). À 9h30 j’ai branché l’infirmier sur l’hygiène. Il était énervé. « Je dois déjà gérer l’OIP à cause de vous, alors vos histoires de poubelles, j’en ai rien à foutre ! » (…) À la gamelle, à 18h15, ils étaient au moins 6 pour me repousser quand je pousse les poubelles du pied.
La violence monte clairement. À 19h45, je suis étonnée car la porte s’ouvre. Ils sont huit. Je connais ce chef ? J’imagine que c’est le délégué CGT, car il m’appelle « camarade », ne cherche jamais la violence et sifflotte Bandera Rosa quand il approche de ma cellule. Il me fixe le marché : je retire le cache ou ils vident toute ma cellule ? Je lui redis le mien : ils vident leurs poubelles ou je laisse le cache. On discute pour le plaisir plus de dix minutes. Puis ils se décident à tout vider, y compris matelas, télé et couvertures, chaise et papier cul. Ça vire même à la franche rigolade car ils se savent ridicules. Il calme ses sbires quand, pour faire un peu de sport, j’essaie de gêner la fermeture de la porte et en rigole. Bien sûr, je cache l’œilleton aussitôt avec les moutons restés sous le lit. D’abord, je vais bien car il n’y a eu aucune volonté d’humiliation, juste l’obéissance idiote à des ordres idiots… que j’ai contrés. Mais la nuit est longue sans bouquins, et je commence à avoir froid sans couvertures. À 1h30, les coups dans la porte me réveillent et je n’arrive plus à m’endormir, même pelotonnée contre le radiateur. Par l’interphone, je demande la Ventoline et une couverture. Une bonne demi-heure plus tard (…) ils sont 3 à la fenêtre à me tendre la Ventoline. Ils font un autre aller-retour pour les couvertures que le chef, ensommeillé, me tend entre les barreaux en disant :
— Tu sais que tu fais chier, toi ?
— T’en fais pas, c’est réciproque…
(… le lendemain matin, Christine peut récupérer quelques maigres affaires.) Le chef m’appelle pour me signaler un CRI (Compte-rendu d’Incident) : jet de poubelles et insultes le samedi soir ! Je m’explique longtemps. (Puis elle récupère petit à petit toutes ses affaires.) Moi je vois que le QI les oblige à faire les loufiots puisque tout mouvement m’est interdit. Donc ils sont vexés. Mais au lieu de dire à la direction que la situation est idiote, ils la renforcent pour avoir un rôle plus « noble » de « disciplineurs ». Du coup, le temps et le nombre d’agents est multiplié à l’infini pour une peccadille à la base. C’est ce que j’essayais d’expliquer au juge le 13 février : « Foutez-moi la paix, ce sera plus simple pour vous, plus agréable pour moi. »

(L’embrouille suivante que Christine raconte a lieu un jour où elle doit aller voir le kiné :)

À 7h, j’ai prévenu en glissant un mot sous la porte que je devais monter voir la kiné. À 9h, quand ils sont venus ouvrir, je l’ai redit. Mais ils m’ont dit que j’avais le temps d’aller en promenade car elle ne venait qu’à 10h. Quand ils sont revenus vers 10h30, ils étaient 4, dont 2 mecs. La grille vers le bâtiment était fermée, et ma cellule ouverte. J’ai refusé tranquillement d’y entrer, expliquant qu’après, il serait trop tard. Le chef a voulu me saisir, je me suis débattue et retrouvée au sol. Là j’ai eu la possibilité de le mordre au bras mais je ne l’ai pas fait, mais le bracelet de sa montre a cassé quand il a retiré son bras. Ils m’ont tenue au sol le temps que les renforts arrivent. Ils m’ont menottée dans le dos, foutu une serviette dans la bouche et traînée jusque sous le lit du mitard. Mes lunettes étaient tombées depuis longtemps. Par deux fois, je suis arrivée à bloquer la fermeture du sas, puis ils m’ont délibérément écrasé la main dans la grille. Il restait un drap sous le lit et je l’ai mis sur le sas pour boucher la vue. Un quart d’heure après sont arrivés trois infirmiers psy. Je me suis d’abord adressée à la matonnerie en disant : « D’accord, je suis en prévention. Mais au mitard j’ai le droit aux bouquins, à de quoi écrire, aux couvertures. Alors quand vous m’aurez passé ça, je vous donnerai mes chaussures et mes lacets. _ Quand vous aurez mis l’allume cigare en route, je rendrai le briquet. Et je retirerai le drap quand j’aurai la convoc’ pour le prétoire. » Ils n’ont rien répondu. Les psys voulaient causer, que je retire le drap. Je leur ai dit que j’étais d’accord pour une consultation, qu’ils fassent ouvrir la grille, et ils ont refusé au prétexte qu’ils n’étaient pas toubibs. Puis ils ont essayé de me brancher en répondant au mot que je leur avais fait il y a une semaine. À la fin, je les ai envoyé chier et ils sont partis en disant : « Continuez comme ça et on vous fait hospitaliser ! » Même s’ils n’étaient pas médecins, ça m’a foutu les jetons. Une heure plus tard, à l’heure de la gamelle, ils sont rentrés avec les boucliers alors que j’étais assise sur le lit. Ils m’ont menottée et la chef Michel m’a tripotée pour trouver le briquet qui était dans la poche. (Elle ne l’a même pas trouvé !) Torture : ils faisaient mal exprès pour me faire « avouer où j’avais planqué le briquet ». J’en ai chialé de cette pseudo tournante ! Ils ont tout pris : veste, tabac, godasses, drap et même matelas. Ils sont partis sans me laisser à bouffer. Toute l’après-midi j’ai grelotté en écoutant si le brancard arrivait. Le chef « camarade » est venu me signaler la prévention et le CRI car j’aurais mordu le maton ce matin. Je lui ai redemandé mes affaires, il m’a dit de voir avec un gradé. Le médecin aussi est venu, sans ouvrir la grille malgré ma demande (« C’est non, vu les évènements ! »), je lui ai juste dit que je n’avais eu ni Doliprane ni repas (« Je vais leur signaler »). Ça a duré 30 secondes au plus. Je me demandais ce que je devais faire. J’avais froid et peur, j’étais en colère aussi. Puisqu’ils me privaient de bouffe, j’ai pensé commencer une grève de la faim, mais je suis contre ce mode d’action qui s’apparente à une tentative de suicide. À 18h, ils étaient super nombreux, dont le chef de détention Bacher pour m’apporter la gamelle. (…) Ils ont ouvert pour me rendre le matelas et mis le radiateur en route (mais au minimum). La discussion avec Bacher a été très agressive.
— Je veux mes affaires !
— Tu ne les auras pas et si t’es pas contente, t’as qu’à écrire à l’OIP.
— Et comment je leur écris sans stylo ?!
— Fais pas chier ! T’as mordu un collègue, t’es entre quatre murs et c’est bien fait pour ta petite gueule !
— De toutes façons, j’y suis entre quatre murs, que ce soit ici, en face, ou même en secteur ouvert !
— Et on va t’y faire triquarde si on veut. Tu vas apprendre que c’est pas toi qui décide. En 25 ans de pénitentiaire, j’en ai maté plus d’une, de petite conne comme toi !
(…) J’étais un peu rassurée car le risque d’hospitalisation d’office semblait s’éloigner, mais bien désespérée de passer tout le week-end dans cette cellule encore plus vide qu’une chambre d’isolement en HP… et plus froide. (…) J’ai essayé d’expliquer aux surveillantes que, quels que soient les ordres de la direction, elles devaient me passer mes affaires car c’était la loi. Je leur ai dit, très calmement, qu’après Nuremberg, pour contrer les « J’ai obéi aux ordres », l’armée française avait ajouté un paragraphe qui disait que tout soldat avait le devoir moral de refuser d’obéir à des ordres contraires à la dignité humaine. Elles approuvaient de la tête mais ne m’ont rien donné.
(Puis le chef lui restitue ses affaires petit à petit.) Il a aussi augmenté le radiateur qui souffle maintenant tous les quarts d’heure et mis en route l’allume-cigare. Je lui ai alors rendu le briquet, comme je l’avais promis 24 heures plus tôt. (…)
Dinan a voulu me faire un discours d’apaisement, me disant qu’il savait bien que je n’étais pas folle. N’empêche que ces s… n’ont appliqué la loi que quand ils ont pu voir que je craquais. Ça a du les faire jouir, ces sales m… !

• Dimanche midi : re-salut !

(Christine a reçu son dossier en vue d’un passage au prétoire pour les altercations survenues.)
Le 1er surveillant dit que je l’ai mordu et qu’il a 3 jours d’ITT. Le certificat n’est pas dans le dossier. Et je sais par expérience que ces s… sont capables de se mordre eux-mêmes pour des congés et des dommages et intérêts. J’ai donc demandé par courrier la production d’un certificat et une prise d’empreinte dentaire, bien que je sache que je ne l’obtiendrai pas. En plus il porte plainte. Voilà comment prendre un an de plus ! (…)
Dans le mot à la direction, j’ai aussi parlé des mauvais traitements de jeudi et vendredi, avoisinants à de l’incitation au suicide, et des permis de visites promis et toujours bloqués.

• Lundi 25 mars

(Christine est amenée au prétoire mais ni son avocat, ni son commis d’office ne sont présents.)
J’ai dit à la directice que je considérais cette commission comme illégale puisque mon droit à être assistée n’était pas garanti. Elle m’a dit que la commission aurait lieu quand même et que si je voulais je pouvais retourner en cellule. Là c’est vrai, j’ai crié : « Je ne veux pas retourner en cellule. Je ne veux pas être enfermée, et ce n’est pas la première fois que je le dis ! »
— Bon ! Et vous voulez vous exprimer sur ces faits ?
— Oui je veux m’expliquer devant une commission légale, assistée d’un avocat.
— Alors je vous écoute.
— Cette commission n’est pas légale.
Alors les matons qui étaient dans le couloir sont entrés pour me saisir.
(…) La directrice : si vous n’êtes pas contente, écrivez à la DI ou au batonnier. Moi je vais statuer.
— Non, vous avez la possibilité d’ajourner ce prétoire, pour qu’il se passe dans les règles. (…)
— Les commis d’office ne se déplacent pas pour une seule personne, je n’y peux rien. Alors maintenant, c’est à vous de décider si on vous ramène en cellule tout de suite ou si vous vous expliquez sur l’agression de ce surveillant.
— …
— Ok, emmenez-la !
Ils me sont tombé dessus à 10 et m’ont menottée. Je me débattais (sans une insulte) et mon pull et tee-shirt me sont passés au dessus de la tête. Torse nue, portée par ces gars, alors que je criais « Je n’agresse personne, moi ! », ça avait un côté « la Liberté guidant le peuple », mais ça manquait de témoins pour la postérité ! 🙂
Au mitard, ils m’ont démenottée alors qu’un maton avait un genou sur ma gorge. Je lui ai dit « Retire ton genou de là, je pourrais te mordre » et je me suis pris une baffe. J’ai ensuite essayé de bloquer la porte du sas. _ L’un a dit : « On la menotte au pied du lit ? », mais ils m’ont glissée dessous et sont arrivés à fermer le sas, comme d’habitude. (…)
La chef Michel m’a demandé si je voulais signer les papiers et je lui ai dit que je voulais d’abord les lire.
— Bon, donc vous venez de prendre 30 jours (de mitard) pour avoir mordu le premier surveillant.
— Je ne l’ai pas mordu !
— Si !
— Non !
— Si !
— Non ! Et j’ai demandé une empreinte dentaire pour confondre ce menteur qui veut des congés et des parties civiles.
— Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
— Parfaitement, et je parle d’expérience.
(…) Dans les motivations de la CDD (Commission de discipline) était écrit : « La détenue ne veut pas répondre aux questions. Elle ne reconnaît pas la CDD au prétexte qu’elle n’a pas d’avocat. Elle déclare n’avoir agressé personne. Les faits sont avérés et constituent une faute du 1er degré. Il convient donc de sanctionner par 30 jours de QD ».
(…) Putain ! Encore trois ou quatre ans comme ça, ça va être long… ! Et ça c’est dans les meilleurs des cas, si je fais attention à ne jamais me défendre de manière efficace lors de leurs démonstrations de force… Nom de dieu comment font les autres taulard(e)s ? Comment tenir debout dans ces conditions ?

• Mardi 9 avril, Bapaume, quartier arrivants

Ce matin à 8h j’ai eu droit au transfert. Il y avait les ERIS, aussi nombreux et équipés que le 15 février. Mais cette fois j’ai eu le droit à un fourgon cellulaire. J’ai donc refusé d’entrer dans la cage avec les menottes (devant) et les entraves, mais je n’ai rien pu faire. L’arrivée ici a été un peu plus calme. Bizarrement, je ne suis ni au QI ni au QD. (…) J’ai déjà rencontré la nana qui a pris une matonne de Joux en otage il y a deux mois. Je vais pouvoir aller en sport et en promenade collective. Je vais commencer par fêter ça avec une sieste et un coca devant la télé, quel confort ! Je vous tiens au jus de l’évolution, à bientôt.

Christine